Pasteur Bernard Mourou
Dimanche dernier, nous avons pu nous étonner d’avoir un texte d’Evangile qui, en cette période de l’Avent, n’aborde pas la naissance de Jésus, mais les derniers jours de sa vie terrestre. Pourtant, nous avons finalement vu la pertinence de ce texte pour nous préparer à vivre Noël.
Aujourd’hui, nous sommes devant une autre surprise : le texte de ce dimanche ne parle toujours pas de Jésus, mais de Jean-Baptiste, et ce sera d’ailleurs encore le cas dimanche prochain.
Mais finalement, là aussi le choix de ce texte a du sens, puisque, nous le savons, tout le ministère de Jean-Baptiste a consisté à annoncer Jésus-Christ.
Alors, comment l’Evangéliste parle-t-il de Jean-Baptiste ?
Curieusement, avant toutes choses c’est son apparence qui parle de lui. Jean-Baptiste n’est pas habillé comme tout le monde. Il porte des vêtements en poil de chameau et une ceinture de cuir. Ses vêtements proviennent d’un animal habitué, comme lui, aux rudes conditions de vie propres au désert. Il se nourrit de produits du désert : de miel sauvage et de sauterelles. Voilà un homme rude et sans apprêt. Le désert a posé sa marque sur lui.
Le rappel de cette originalité vestimentaire n’est pas fortuit : ce sont les habits du prophète Elie. Or Elie était ce prophète qui devait revenir juste avant le Messie qui instaurerait un règne de paix et d’harmonie dans le pays. Selon le récit biblique, Elie avait quitté ce monde non par la mort, comme tout un chacun, mais en s’élevant dans le ciel avec un char de feu et des chevaux de feu.
Non, Elie n’était pas un prophète ordinaire, pour preuve ces paroles qui concluent le livre de Malachie et qui sont en même temps les derniers mots de la Bible hébraïque : Voici que je vais vous envoyer Élie le prophète, avant que vienne le jour du Seigneur, jour grand et redoutable. Il ramènera le cœur des pères vers leurs fils, et le cœur des fils vers leurs pères, pour que je ne vienne pas frapper d’anathème le pays !
Si on nous dit que Jean-Baptiste porte les mêmes vêtements qu’Elie, c’est pour mettre Jésus en cohérence avec les textes de l’Ecriture. Alors pour montrer que Jésus a bien été annoncé dans les règles, Jean-Baptiste est assimilé à ce prophète hors du commun.
Quelle est l’action de Jean-Baptiste ?
Elle est simple : pour donner plus de force à son message, Jean-Baptiste utilise le symbolisme de l’eau, qui est très présent dans les rituels de purifications juifs. Il appelle les foules à revenir à la Loi juive, et pour marquer concrètement ce retour, il plonge tous ceux qui viennent à lui dans les eaux du Jourdain. Il exhorte les foules en leur disant de se convertir.
Ici, se convertir ne signifie pas changer de religion, mais revenir en arrière pour reprendre le bon chemin. C’est ce que les juifs appellent la teshouva. Certains d’entre vous font de la randonnée, eh bien lorsque vous vous êtes trompés de chemin, vous devez revenir en arrière jusqu’à l’embranchement où vous avez pris la mauvaise direction.
Jean-Baptiste ne ménage pas ses auditeurs : quand il voit arriver des pharisiens et des sadducéens, qui représentent pour le judaïsme l’élite religieuse, il n’hésite pas à les traiter d’engeance de vipères.
Jean-Baptiste a choisi son lieu de vie : le désert de Judée, un lieu brûlé par un soleil de feu. Mais dans ce lieu inhospitalier, un élément introduit une rupture : c’est le Jourdain et ses rives verdoyantes dont les eaux donnent la vie.
Nous avons l’eau, et le feu, l’eau qui rafraîchit, et le feu qui brûle. Les deux s’excluent mutuellement : soit l’eau éteint le feu, soit le feu fait s’évaporer l’eau. Dans l’aveuglante chaleur du désert, cette petite rivière s’offre comme un lieu de ressourcement. C’est une belle image : le feu du jugement annoncé est destiné à tout brûler, sauf ce qui va lui échapper dans les eaux du baptême.
Mais l’eau et le feu ne sont pas que dans une opposition réciproque. Bien que ces deux éléments s’excluent mutuellement, ils ont un point commun : tous les deux purifient tout ce qu’ils touchent. Mais le feu purifie encore plus que l’eau, il est encore plus efficace : dans le passé, quand il y avait des épidémies de peste ou de choléra, on brûlait les cadavres, c’était inévitable.
Jean-Baptiste ne laisse personne indifférent. Ce sont des foules entières qui affluent vers lui, et plusieurs passages des Evangiles le présenteront comme quelqu’un qui a une autorité incontestée auprès du peuple, un peu comme Jésus, de sorte qu’il aurait pu y avoir une rivalité entre eux.
Jean-Baptiste nous est présenté comme le plus grand des prophètes de l’ancienne Alliance. Pour autant, le baptême de Jean ne doit pas être confondu avec le baptême chrétien : il ne purifie pas la personne qui le reçoit, il annonce seulement le baptême plein et complet que Jésus apportera : le baptême du Saint-Esprit.
Les Evangiles nous présentent Jean-Baptiste comme le plus grand des prophètes. Mais sa grandeur ne tient qu’à une chose : au fait qu’il été le prophète en contact avec le Christ. Tout son ministère consiste à lui laisser la place. Dès qu’il l’aura fait, il considérera sa mission terminée et, dépréoccupé de sa propre personne, il saura se retirer et se faire oublier en disant : Il faut qu’il croisse et que je diminue. Il n’y a pas un plus bel exemple d’humilité.
Jean-Baptiste annonce une nouvelle ère, celle de la grâce manifestée en Jésus-Christ. Et de même qu’il n’y a pas de compatibilité entre l’eau et le feu, de même il n’y a pas de compatibilité entre Jean-Baptiste et Jésus, tant ils sont différents : Jésus ne vient pas du désert, mais de la Galilée verdoyante, il ne mène pas une vie ascétique, mais il festoie avec les pécheurs.
Quoiqu’il en soit, le travail d’éradication de Jean-Baptiste sera utile et nécessaire à Jésus, et c’est seulement après sa mort que le ministère de la grâce pourra se déployer.
Jean-Baptiste a préparé les foules à accueillir le message libérateur de Jésus-Christ, il peut faire de même pour nous aujourd’hui. Alors, avec lui, profitons de ce temps de l’Avent pour revoir nos priorités et nous pourrons accueillir celui qui, à Noël, vient à nous dans la douceur d’un enfant.
Amen