Pasteur Bernard Mourou C’est de nouveau une parabole qui est proposée à notre méditation ce dimanche. Il n’est pas rare que les paraboles contiennent des détails étranges, mais sur ce point cette parabole des dix vierges les bat toutes. Car le mariage dont il est question compte vraiment beaucoup d’invraisemblances : – voici un mariage qui a lieu de nuit ; – les jeunes filles cherchent des magasins ouverts la nuit pour se procurer de l’huile ; – au lieu que ce soit le marié qui attende sa future épouse, c’est l’inverse, c’est le marié qui se fait attendre ; – cette mariée n’apparaît d’ailleurs nulle part ; – les invités non plus ; – enfin, le marié ferme la porte à ces cinq jeunes filles qui veulent se réjouir avec lui. Mais quand nous ne voyons dans cette parabole que des invraisemblances, nous oublions le contexte de l’époque. Nous avons en effet affaire à un mariage oriental et il est intéressant d’en connaître le déroulement usuel : – un cortège accompagne la future épouse depuis la maison de ses parents jusqu’à la maison où ils s’apprêtent à vivre ; – pendant ce temps le marié est avec sa famille ou avec ses amis ; – sa future épouse l’attend jusqu’à la nuit ; – le cortège qui accompagne le fiancé est éclairé par des lampes à huile ; – lorsque le marié arrive, on l’annonce par des clameurs ; – des demoiselles d’honneur, nos jeunes filles en question, viennent l’accueillir avec leurs lampes ; – lorsqu’il entre dans la maison, on ferme la porte et la fête peut commencer ; – cette fête ne dure pas qu’une nuit, mais une semaine entière. Dans ce contexte, le récit de ce mariage prend un tour différent. L’Eglise est née dans ce contexte culturel. Les lecteurs de l’Evangile comprennent donc ce que tout cela signifie. Ajoutons que les juifs attendaient le Messie pendant la nuit de la Pâque. C’est pour ça que dans les maisons juives, on laisse toujours la porte ouverte pendant cette nuit particulière. Très tôt, les chrétiens ont célébré une veillée de Pâques, la vigile pascale. Dans les premières liturgies chrétiennes, on allumait des lampes pour signifier que la lumière dissipait les ténèbres du péché. Or dans le déroulement du récit évangélique, notre parabole se place justement dans ce moment de l’année liturgique : un peu avant la fête de la Pâque. Et cette fête de la Pâque sera suivie de la Passion : c’est donc le moment pour Jésus d’annoncer les derniers événements. Avec cette parabole assez sombre, qui évoque un mariage sans en évoquer les réjouissances, Jésus chercherait-il à faire peur à ses disciples pour qu’ils restent vigilants ? C’est ainsi que cette parabole a parfois été lue. Mais si c’était le sens de cette parabole, est-ce que les jeunes filles prévoyantes se seraient endormies ? Or elles se sont bien endormies, elles aussi, comme les autres. Il faut donc chercher ailleurs le sens de cette parabole, par exemple dans ce qui différencie ces jeunes filles. Or qu’est-ce qui les différencie? Ce qui les différencie, c’est leur rapport au temps. En ne faisant pas provision de cette huile qui aurait garanti la lumière de leurs lampes, cinq d’entre elles n’ont pas réussi à vivre leur situation présente, qui est une situation d’attente. Cette mauvaise gestion du temps vont leur faire subir une grande privation : elles vont manquer plusieurs jours de festivités et de réjouissances. Replaçons-nous maintenant dans le contexte de l’époque. Les premières communautés chrétiennes s’attendaient à un retour imminent du Christ. Dès les années 50 de notre ère, dans l’épître aux Philippiens, l’apôtre Paul affirme : Le Seigneur est proche. Quelques années après, il écrit encore aux Romains : La nuit est bientôt finie, le jour est tout proche. Dans les années 60, nous lisons dans la Première épître de Pierre : La fin de toutes choses est proche. C’est toujours cette même idée que le Christ reviendrait dans un avenir proche. Mais cela ne se produit pas ainsi. Vingt années plus tard, lorsque l’Evangile de Matthieu a été écrit, la vie continue comme avant. Le retour du Christ paraît incertain. Les chrétiens doivent vivre cette attente prolongée. Ils risquent de penser qu’ils se sont trompés et qu’il faut renoncer à cet espoir pour passer à autre chose. Savoir vivre une fête suppose de savoir vivre le temps d’attente qui la précède. Vivre dans l’attente, c’est prendre en compte non seulement le présent, mais aussi le passé et l’avenir, et avoir ainsi la capacité d’accueillir ce qui est éternel dans nos vies. L’erreur de ces jeunes filles n’a pas été de s’endormir, mais de n’avoir pas su vivre ce temps d’attente. Savons-nous mieux vivre ce temps d’attente dans lequel nous sommes depuis deux mille ans ? Ce n’est pas sûr, parce que pour nous c’est encore plus difficile, parce que ce ne sont pas vingt ans, mais deux mille ans qui ont passé, et qu’en plus nous vivons dans une époque qui nous incite plus que jamais à vivre dans l’instant. Peut-être nous arrive-t-il parfois, comme ces jeunes filles imprévoyantes, de négliger ce qui pourrait illuminer nos vies, des moments où nous passons à côté de l’essentiel : on ne prend pas le temps, on n’ose pas, on remet au lendemain. Ces négligences répétées nous font perdre le sens de nos vies et alors la joie nous abandonne comme elle abandonne ces jeunes filles restées dans les ténèbres de l’autre côté de la porte. Un jour, si nous ratons toujours les moments d’éternité qui s’offrent à nous, comme pour elles il sera trop tard, parce qu’il y a des choses qu’on ne peut pas obtenir à la dernière minute. Si donc nous pensons que tout est accompli parce qu’un jour nous avons reçu l’illumination de la foi, Jésus nous rappelle que cette foi est à recevoir jour après jour. Il nous revient de l’accueillir avec une attention persévérante. Comme les invités à la noce dans ce cortège éclairé par la lumière des lampes, nous sommes appelés à laisser illuminer nos vies par les instants d’éternité qui nous sont donnés de vivre avec Dieu. Amen
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