Matthieu 24, 37-44 – Comme un voleur dans la nuit

Pasteur Bernard Mourou

Vous avez remarqué aujourd’hui dans le temple la crèche, la couronne de l’Avent dont nous avons allumé la première bougie – merci à Lina qui l’a confectionnée – ainsi que la tenture et le signet sur la Bible, qui ont pris la couleur violette, symbole de l’attente.

Nous sommes au creux de l’hiver et avec la crèche, la couronne de l’Avent et la couleur violette, nous entrons dans la période de l’Avent. C’est ce temps marqué par l’espérance qui commence notre année liturgique et qui nous prépare à la fête de Noël.

Mais en ce premier dimanche de l’Avent qui est supposé nous préparer à vivre la joie de Noël, nous ne manquerons pas d’être surpris par le texte prévu par la liturgie aujourd’hui. Car pour commencer ce temps qui annonce la naissance de Jésus, on nous propose un texte qui se trouve tout à la fin de l’Evangile selon Matthieu, l’Evangile que nous lirons cette année.

Nous avons donc aujourd’hui un passage qui annonce la naissance de Jésus, mais un passage qui s’inscrit dans les derniers jours de sa vie.

Il fait partie d’un discours que Jésus tient sur la fin des temps, juste avant sa Passion, et qui se déploie sur deux longs chapitres. Dans l’extrait qui nous occupe ce matin, Jésus revient sur le récit du Déluge.

Avant d’aller plus loin, je voudrais faire deux remarques :

La première, c’est que, lorsque nous pensons au Déluge, nous avons en tête le récit qui est raconté dans le livre de la Genèse. Et de ce texte, nous retenons surtout l’idée que Dieu provoque le Déluge pour éradiquer le mal et les hommes qui le commettent.  

Pourtant ici, l’Evangéliste ne met pas l’accent sur l’impiété des hommes, mais plutôt sur leur imprévoyance : Jésus dit que les gens ne se sont doutés de rien, que leur vie quotidienne a continué, sans aucun changement notable, qu’ils ont continué à profiter des plaisirs de la table et de la vie conjugale, qu’ils ont continué à vivre dans une routine agréable et  rassurante.

Et c’est cette même idée qu’il développe dans la suite, avec deux très courts récits : celui de deux paysans qui travaillent dans les champs et de deux meunières en pleine activité. Dans les deux cas une personne est prise et l’autre laissée.

Ces récits nous laissent perplexes, parce que rien ne distingue la personne qui est prise de celle qui est laissée, rien ne distingue ces deux paysans qui travaillent dans les champs, rien ne distinguent ces deux meunières qui travaillent dans le même moulin. Ces deux exemples mettent juste en évidence le caractère soudain de l’événement. Si c’est Dieu qui est à l’origine de ce choix, alors il agit de manière totalement arbitraire, sans qu’il y ait une raison à cette différence de traitement.

Et puis ces deux récits nous laissent dans le vague : qui prend cet homme et cette femme ? Et puis que veut dire « être pris » ?

Avant d’aller plus loin et de tenter une réponse, je vais passer à ma seconde remarque.

Ce texte semble s’inscrire dans le genre eschatologique, c’est-à-dire dans ces textes qui annoncent des événements à venir. Mais si nous faisons de ce texte une lecture littérale, nous allons aborder la question des fins dernières sous l’angle de la chronologie. A partir d’un texte comme celui-ci, nous voudrons peut-être chercher à savoir à quel moment de l’histoire nous sommes aujourd’hui. Je crois que cette question est inutile et qu’elle ne nous donne pas une bonne clef de lecture, parce que ce texte n’a pas pour but de prévoir l’avenir. D’ailleurs, Jésus ne dit-il pas que le moment où cela arrive est ignoré, même par lui ?

En fait, notre passage ne cherche pas à nous donner un calendrier des événements à venir, non, il fait beaucoup plus : il nous offre une révélation. Et cette révélation est éclairée par la petite histoire du voleur.

Pour cambrioler les maisons orientales de cette époque, percer les murs était moins bruyant et plus efficace que de forcer les portes, parce que c’était des constructions fragiles.

Quoiqu’il en soit, qu’il entre en forçant la porte ou en faisant un trou dans le mur, nous sommes tentés de voir dans ce voleur un personnage maléfique. Il est vrai que vivre un cambriolage est toujours une expérience traumatisante, et peut-être certains d’entre vous ont-ils déjà vécu cela. Un cambriolage, ce ne sont pas seulement des biens perdus, c’est aussi, pour les occupants de la maison, la profanation d’une intimité.

Mais quand on lit la Bible, on a tout intérêt à sortir des idées toute faites. Aussi je vous invite à lire autrement cet épisode qui met en scène ce voleur. Et au lieu de voir en lui seulement un personnage négatif, nous pouvons regarder le résultat de son action.

Quel est le résultat de son action ? Eh bien notre voleur ouvre l’espace clos de cette maison plongée dans la nuit.

Ainsi, au lieu de le percevoir comme un personnage négatif, nous pouvons considérer qu’il s’attaque à un univers obscur, ténébreux, clos sur lui-même comme l’est celui de cette maison perdue dans la nuit. N’est-ce pas comme cela que nous pouvons voir l’irruption de Jésus-Christ dans notre monde de ténèbres ?

C’est une autre manière d’aborder ce texte. Nous ne sommes plus à la recherche d’une date pour savoir quand se produira la fin des temps.

Oui, vivre en chrétien, c’est être attentif, dans la routine de nos journées, aux manifestations de Dieu, souvent discrètes. Chaque jour, nous sommes sollicités de multiples manières. En négligeant ce qui est vraiment important, nous risquons de passer à côté de nos vies. En revanche, si nous restons attentifs aux manifestations de Dieu, elles laisseront une trace en nous, elles imprimeront notre mémoire, elles s’ajouteront à nous, et nous nous en trouverons enrichis.

Rechercher des dates ne peut que nous faire passer à côté des manifestations du Seigneur, de ses visitations dans le présent. A l’inverse, rester dans une attitude de vigilance, cela nous place dans une attitude d’attente joyeuse et d’espérance. Que cette attitude d’attente joyeuse et d’espérance soit cette année notre manière d’entrer dans ce temps de l’Avent.

Amen

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