Marc 10, 17-27 – Une bénédiction nouvelle

Cet homme dont il est question dans notre récit représente le stéréotype du « bon juif » tel qu’il est vu à l’époque : voici quelqu’un qui voit tout en termes de faire ou de ne pas faire, et qui considère Jésus comme un rabbi, c’est-à-dire un responsable religieux qui va être en mesure de lui enseigner la Loi et les commandements.

N’importe quel responsable religieux serait allé dans son sens allé dans son sens et aurait accepté cet honneur. Mais ce n’est pas ce que fait Jésus : au risque de surprendre ou de choquer le monde religieux de son époque, il se place résolument sur un autre plan.

Pourtant, dans un premier temps, il répond en suivant la logique de cet homme. Son interlocuteur valorise la Loi et les commandements, alors Jésus le renvoie au Décalogue : Tu connais les commandements, sous-entendu : la Torah est claire, pour avoir la vie éternelle en héritage, il faut respecter la Loi juive, toute la Loi, tous les commandements.

Jésus sait qu’il faut aller jusqu’au bout d’une logique pour faire apparaître les erreurs qu’elle contient. Alors il lui présente la Loi dans toute son intransigeance. Qu’à cela ne tienne, cela ne perturbe pas notre homme, cette exigence ne le prend pas en défaut : il est convaincu, à tort ou à raison, d’appliquer fidèlement les commandements.

Et Jésus ne met pas la parole de cet homme en doute. Il rappelle simplement, avant toutes choses, que la bonté provient de Dieu seul.

En plus de sa droiture, cet homme est aussi reconnu pour sa richesse. Dans le contexte du judaïsme, il représente celui qui est ouvertement béni de Dieu et qui a vraiment toutes les chances d’avoir la vie éternelle en héritage.

Alors pourquoi cette question : Que dois-je faire pour avoir la vie éternelle en héritage ? Il semble bien que sa richesse comme sa droiture le laissent insatisfait : il sent qu’il lui manque quelque chose. Et c’est là sans doute la marque d’une grâce qui lui est faite. La bénédiction de cet homme est moins à chercher dans son zèle religieux et dans ses richesses que dans ce soupir d’insatisfaction. Il sait inconsciemment que la vraie vie ne consiste pas seulement à faire et à posséder.

Comme son rapport à la Loi et aux commandements, la richesse de cet homme l’inquiète et l’encombre ; pour preuve : elle l’empêche de suivre librement Jésus, les mains vides, en ne se fiant plus ni à sa capacité de suivre la Loi et les commandements, ni à ses richesses, mais seulement à celui qui l’appelle à le suivre.

Par son exemplarité hors normes, cet homme met en évidence le malentendu qui se fait jour dans toute religion : malentendu entre un être humain qui veut faire quelque chose pour Dieu, et un Dieu qui avant toutes choses veut donner.

Et Jésus est celui qui va mettre fin au malentendu, puisqu’il nous est dit qu’il l’aime. Nous pouvons donc être optimiste pour le sort de cet homme, parce que, comme chacun de nous, il a Jésus de son côté : Jésus posa son regard sur lui, et il l’aima.

Finalement, cet homme riche est placé devant une alternative qui est la suivante :

  • ou bien il considère que ce qu’il a à faire, c’est d’observer la Loi, et alors il peut continuer à posséder ses nombreux biens ;
  • ou bien il vend ses biens et se met à suivre Jésus pour pouvoir rester dans sa présence.

Notons bien que rien ne l’oblige à vendre ses biens et à suivre Jésus. S’il ne le fait pas, aucune autorité religieuse, ni non plus Jésus lui-même, ne le condamneront. Mais il restera avec son insatisfaction. La seule question qui se pose à lui, c’est de savoir s’il peut continuer à vivre avec cette insatisfaction et renoncer à la présence de Jésus.

Certes, dans un premier temps cet homme ne se décide pas à vendre ses biens et à suivre Jésus, mais la tristesse qu’il éprouve est cette fois-ci une deuxième marque de la grâce qui lui est faite. Nous ne savons pas comment finit cette histoire, mais nous savons que Jésus a posé son regard sur lui.

Que dois-je faire pour avoir la vie éternelle en héritage ? C’était la question que posait cet homme au début de notre récit. Peut-être la lecture de ce texte ne nous éclaire-t-elle pas vraiment sur ce qu’il convient de faire pour avoir la vie éternelle en héritage. Lui, il a tout fait ce qui était possible, et pourtant il ressentait toujours une insatisfaction.

Que dois-je faire pour avoir la vie éternelle en héritage ? Et s’il n’y avait justement rien à faire pour avoir la vie éternelle en héritage.

Les disciples, en bons juifs, sont stupéfaits et déconcertés par les paroles de Jésus. Elles vont à l’encontre de leur conception religieuse, et peut-être aussi de la nôtre.

La bonne nouvelle de l’Evangile, est-ce une question de faire ou de ne pas faire, ou bien d’être dans une présence ? La question est posée à chacun de nous : où cherchons-nous nos assurances : dans notre piété, dans nos biens matériels, ou bien en Jésus-Christ lui-même ?

Oui, il est difficile d’entrer dans le Royaume de Dieu. Il est difficile de ne pas être tenté de s’appuyer sur des assurances tangibles, comme respecter la Loi et les commandements ou acquérir des biens matériels. Jésus dit à ses disciples qu’il est plus facile à un chameau de passer par le trou d’une aiguille que d’entrer dans le Royaume de Dieu. Certains ont cherché derrière cette expression un sens littéral et ont cru trouver que Jésus parlait d’une porte qui s’appelait la porte de l’aiguille, mais c’est méconnaître la façon de orientale de s’exprimer, qui aime manier l’hyperbole et toutes les formes d’exagération. Oui, il est plus facile pour un chameau de passer par le trou d’une aiguille qu’à un riche d’entrer dans le Royaume, mais Dieu est le Dieu de l’impossible.

Alors, cet homme est béni de Dieu, mais il est béni de Dieu non parce qu’il est riche ou parce qu’il a une pratique exemplaire, mais parce qu’il est conscient de son manque. Les richesses peuvent nous faire penser que nous ne manquons de rien. Une pratique exemplaire peut nous faire penser que nous ne manquons de rien. Mais c’est illusoire. Et si cet homme doit être admiré, ce n’est ni à cause de ses richesses, ni à cause de sa pratique exemplaire, mais parce que, en dépit de cela, il continue à être conscient de son manque. C’est pourquoi Jésus posa son regard sur lui et l’aima.

Ne soyons pas troublés par l’insatisfaction que nous pouvons éprouver : elle n’est pas le signe d’une malédiction, mais d’une bénédiction. C’est notre insatisfaction qui nous pousse à inventer de nouveaux chemins, c’est leur insatisfaction qui a conduit les résistants allemands et les pasteurs des Cévennes que présente notre exposition à résister contre l’ennemi. Notre insatisfaction fait que Jésus pose son regard sur nous et nous aime.

Amen.

Bernard Mourou

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