Luc 9, 51-62 – Le feu du ciel

Pasteur Bernard Mourou

On connaît l’Evangile de Luc pour être l’Evangile de la douceur : cet Evangile se met à la portée d’un public grec, il raconte l’enfance de Jésus, il porte une attention particulière à la figure féminine de Marie.

Et pourtant, cet Evangile de Luc est le seul des quatre Evangiles à relater cet épisode qui met en exergue une réaction d’une rare violence : « Seigneur, veux-tu que nous ordonnions qu’un feu tombe du ciel et les détruise ? » Elle est le fait des deux disciples Jacques et Jean, deux frères qui  avaient du tempérament…

Ceux que Jacques et Jean veulent réduire en cendres, ce sont des Samaritains.

Il faut dire que les samaritains n’ont pas le beau rôle dans notre récit : contrairement au « bon Samaritain » que l’on verra se porter au secours d’un homme victime d’une agression, au chapitre suivant, alors que les juifs se contenteront de passer leur chemin. Ici dans les Samaritains de notre passage refusent d’accueillir Jésus et ses disciples, simplement parce qu’ils sont en pèlerinage vers Jérusalem.

Il n’est pas nécessaire de rappeler l’animosité qui règne entre Judéens et Samaritains. La population de la Samarie a une pratique de la religion assez différente de celle qui a cours en Judée. Les Samaritains ne reconnaissent en effet comme seul lieu de culte le mont Garizim, sur lequel ils ont élevé un temple à l’image de celui de Jérusalem, mais qui n’existe plus à l’époque de Jésus, parce qu’il a été détruit 150 ans plus tôt par les Judéens.  

Pour sûr, ces deux peuples se détestent. Les Samaritains ne supportent pas que les Judéens se voient comme les seuls représentants légitimes du peuple élu, et les Judéens méprisent cette population samaritaine mélangée où la religion juive s’est dévoyée. On voit que les phénomènes identitaires ne datent pas d’hier, mais comme il en est pour les individus, le repli sur soi des peuples se finit toujours mal et Jésus se garde bien de jouer ce jeu-là. Il n’est pas venu pour prendre parti pour les uns ou pour les autres, ni non plus pour réformer les mœurs de ses contemporains, et ce ne sont pas les Samaritains qu’il réprimande, mais bien Jacques et Jean.

Oui, Jésus reprend sévèrement Jacques et Jean, parce qu’ils n’ont rien compris. Pourtant, Jacques et Jean sont des disciples de premier rang : leurs noms viennent juste après ceux de Pierre et d’André.

Ici, pour une fois Pierre n’est pas avec eux. Et c’est sans doute ce qui éclaire l’attitude des deux frères.

En effet, vous vous rappelez que Pierre vient de reconnaître en Jésus le Christ de Dieu, c’est-à-dire le Messie – c’était notre texte de dimanche dernier. Il avait vu juste. Jacques et Jean se sentent-ils en reste ? Pensent-ils que Pierre pourrait passer pour être plus grand qu’eux ? Tout nous laisse croire que c’est le cas.

Alors Jacques et Jean font appel à leurs connaissances bibliques et ils se rappellent la figure de ce personnage qui représente le prophète par excellence : le personnage d’Elie. Ces deux frères dévorés par l’ambition en font leur modèle et ils se prennent à vouloir s’identifier à lui et à vouloir l’imiter.

Il est en effet bien tentant de recourir au prophète Elie quand on cherche une figure d’autorité, parce qu’il savait se faire respecter.

Dans un récit rapporté par le second livre des Rois, qui évoquera pour certains des souvenirs de l’école biblique, on le voit aux prises avec un officier envoyé avec cinquante hommes par le roi Ahazia : quand cet officier dit à Elie : « Homme de Dieu, par ordre du roi : Descends ! », celui-ci lui répond alors : « Si je suis un homme de Dieu, qu’un feu du ciel descende et te dévore, toi et tes cinquante hommes ! » Et un feu du ciel descend et le dévore, lui et ses cinquante hommes. Lorsque le roi lui envoie un autre officier accompagné lui aussi de cinquante hommes, la même chose se reproduit une seconde fois.   

On trouve d’ailleurs dans tout ce passage deux autres allusions au prophète Elie : l’annonce de l’enlèvement de Jésus au ciel (Elie était monté au ciel dans un char de feu), et les consignes radicales qu’il donne à ses disciples quand il s’agit de le suivre (c’était le texte de notre première lecture).

Nous le voyons, Jacques et Jean, quand ils souhaitent que le feu du ciel tombe sur les Samaritains, se fondent sur l’Ecriture. Ils appliquent le principe bien protestant de la Bible seule.

Mais on peut faire dire à la Bible n’importe quoi si on ne la lit pas en étant éclairé par le Saint-Esprit, ce passage le montre bien. On ne peut pas définir le protestantisme seulement par le « Sola Scriptura » – la Bible seule – il faut rappeler qu’aucun des Réformateurs n’a isolé ce principe des autres. Le protestantisme est bancal s’il oublie « la grâce seule », « la foi seule », ou encore « Christ seul ».

La réaction de Jésus est diamétralement opposée à celle de Jacques et de Jean, et aussi à celle du prophète Elie : il ne répond pas à l’hostilité des Samaritains.

Pourtant, son attitude ne fait aucune place à la mollesse : Jésus fait preuve d’une véritable intransigeance. Cela apparaît clairement dans les trois dialogues qui s’engagent entre Jésus et des disciples qui s’apprêtent à s’engager à ses côtés :

  • le premier disciple promet de le suivre, mais Jésus lui annonce clairement ce que cela implique, comme s’il ne le croyait pas assez déterminé ;
  • le deuxième reçoit l’ordre de suivre Jésus, mais demande d’abord d’enterrer son père, ce qui en soi est légitime mais qui pour Jésus le disqualifie ;
  • le troisième lui promet de le suivre après avoir fait ses adieux à sa famille, ce qui pour Jésus est encore la marque d’un engagement trop faible.

Il ressort de ce passage que Jésus nous apparaît avec une grande force, mais cette force ne repose sur aucune forme de violence. L’attitude de Jésus n’est pas moins radicale que celle de Jacques et Jean, mais elle ne se fonde sur que sur un engagement sans failles et respecte la liberté des autres. C’est à un tel engagement que nous sommes invités.

Amen.

Bernard Mourou

 

 

 

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