Luc 6, 27-38 – L’amour des ennemis

 

Pasteur Bernard mourou

Je vous le dis, à vous qui m’écoutez.

Jésus s’adresse ici à ceux qui l’écoutent, c’est-à-dire à ses disciples. Il s’adresse donc à nous.

Il a promis à la foule le bonheur au sein même des difficultés, et maintenant il donne à ses disciples un véritable principe de vie, une règle d’or.

Elle consiste pour ses disciples à ne pas répondre à leurs ennemis par la haine, mais par l’amour.

Même les personnes les plus éloignées des Eglises savent que l’amour est au cœur du message chrétien. Notre texte aborde donc le point central de notre foi.

Mais en français ce mot amour peut provoquer des malentendus.

En effet, pour une fois, le français manque de précision : là où il n’a qu’un mot pour désigner l’amour, la langue grecque quant à elle est plus précise, puisqu’elle distingue trois sortes d’amour :

  • la philia, qui est l’amour-amitié ;
  • l’éros, qui est l’amour sexuel ;
  • l’agapê, qui est l’amour pour tous.

L’amour agapê ne prend pas en compte l’affection que l’on peut avoir pour un membre de sa famille (on y trouve son compte), ni l’amitié que l’on porte à un égal (là aussi on y trouve son compte), ni l’amour-passion (là encore on y trouve son compte).

Parmi les trois types d’amour que distingue la langue grecque, l’amour agapê est le seul à ne pas s’inscrire dans une réciprocité, dans une contrepartie. C’est la seule manière d’aimer qui soit véritablement désintéressée.

C’est ce type d’amour que développe notre texte.

Cette règle d’or ne se réduit pas à aimer nos amis.

Quand on fait du bien à une autre personne, celle-ci a des chances d’être bien disposée à notre égard. C’est le principe du donnant-donnant, selon lequel tout a un prix.

La société applique cette règle sans recourir à l’Evangile.

Le principe que nous donne Jésus suit une tout autre logique. Il se fonde non sur la réciprocité, mais sur la gratuité : si Dieu nous a donné gratuitement, il est logique que nous donnions gratuitement.

C’est pourquoi Jésus prend comme exemple un type de relation où il ne peut pas y avoir de donnant-donnant, où notre bienveillance ne peut être que désintéressée :  les relations que nous pouvons avoir avec nos ennemis.

Un ennemi sera toujours contre nous, quoi que nous fassions. Ce n’est pas en étant bienveillant avec lui que nous en tirerons un avantage, au contraire. S’il est notre ennemi, il y a fort à parier qu’il le restera malgré toutes nos bonnes intentions.

Et même si ce n’était pas le cas, il vaudrait tout de même la peine d’agir ainsi, car le meilleur moyen de se défendre d’un ennemi, c’est de ne pas lui ressembler.

Cette règle d’or présente un grand avantage, dans la mesure où elle détruit le lien qui nous lie à lui et qui nous en rend dépendant. Le meilleur moyen de se défendre d’un ennemi, c’est de ne pas lui ressembler.

Ce principe de vie est on-ne-peut-plus exigeant et il se peut qu’il nous apparaisse comme un idéal inaccessible.

Mais si nous pensons cela, c’est peut-être parce que nous confondons volonté et sentiments.

Martin Luther King, dont nous avons commémoré l’année dernière le cinquantième anniversaire de son assassinat, en était bien conscient lorsqu’il disait : Je suis heureux que Jésus n’ait pas dit : ayez de la sympathie pour vos ennemis, parce qu’il y a des personnes pour lesquelles j’ai du mal à avoir de la sympathie […]. Jésus me rappelle que l’amour est plus grand que la sympathie, que l’amour est une bonne volonté, compréhensive, créatrice, rédemptrice envers tous les hommes.

Une telle manière de vivre ne repose pas sur le sentiment, mais sur la volonté.

En fait, il s’agit moins d’ambitionner une perfection morale inaccessible, que d’inventer une manière de vie qui s’inspirera de la générosité illimitée de Dieu.

Néanmoins, le principe de vie que propose Jésus peut instaurer l’harmonie dans la société où nous vivons, justement parce que nous ne serons pas dans une relation donnant-donnant.

Cette harmonie que notre attitude aura fait naître pourra rejaillir sur nous.

C’est pourquoi Jésus dit à ses disciples : C’est une mesure bien pleine, tassée, secouée, débordante, qui sera versée dans le pan de votre vêtement, car la mesure dont vous vous servez pour les autres servira de mesure aussi pour vous. 

Mais si tel est le cas, nous ne devrons jamais oublier que cet avantage nous sera donné par surcroît et non parce que nous l’aurions recherché ou mérité.

Avec ce principe de vie, cette règle d’or, Jésus propose à ses disciples un programme pour une humanité nouvelle : une humanité qui ne sera pas vaincue par le mal, mais qui vaincra le mal par le bien.

Amen

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