Luc 23, 35-43 – Avec le Christ je suis crucifié

 

Pasteur Bernard Mourou

Le christianisme repose tout entier sur l’événement de la crucifixion. Très vite, il a dû élaborer une théologie qui en rende compte. La tâche n’était pas facile, tant cette donnée contrevient à toutes nos attentes d’un Messie triomphant.

Aucun auteur du Nouveau Testament n’a plus réfléchi à la signification de la croix que l’apôtre Paul. C’est lui qui a cette formule qui résume toute sa pensée, quand il s’adresse aux Galates : Avec le Christ je suis crucifié.

Eh bien cette affirmation se trouve concrétisée dans notre récit d’évangile, qui met sous nos yeux deux malfaiteurs soumis à la même peine que Jésus.

Le supplice de la croix était la condamnation la plus infamante, celle que l’on réservait aux pires criminels.

C’est pourquoi le christianisme a mis du temps avant de l’adopter comme symbole. Dans les Eglises du premier siècle, il aurait été impensable de l’arborer en pendentif ou de l’ériger dans un lieu de culte.

Il a fallu beaucoup de temps pour voir cet événement à la lumière de la foi et pour être en mesure d’intérioriser sa signification profonde : pas moins de quatre siècles pour que la croix trouve sa place dans les églises, et dix siècles pour représenter un Christ mort s. Par la suite, cette tendance ne s’arrêtera plus et le christianisme d’Occident donnera libre cours à un dolorisme de mauvais aloi, dont le réalisme exacerbé culminera en Espagne ou au Portugal.

Pour notre part dans le commentaire de ce texte nous tâcherons d’éviter cet écueil et de ne nous intéresser qu’à sa signification, sans faire de place à un sentimentalisme piétiste. Calvin a refusé qu’il y eût des crucifix dans les temples et c’est pourquoi dans le courant réformé la croix est toujours vide.

Alors, au-delà de tout sentimentalisme, quel est la signification de ce récit ?

Attardons-nous un instant sur ces deux malfaiteurs.

Nous ne savons pas quels délits ils ont commis, mais ce qui est certain, c’est qu’ils se sont rendus coupables d’actes graves. C’est leur propre parole qui nous permet de dire cela : Après ce que nous avons fait, nous avons ce que nous méritons, mais lui n’a rien fait de mal.

Celui qui prononce ces mots prend en compte deux choses, aussi importantes l’une que l’autre : la première est l’innocence de Jésus, la seconde la réalité de leur culpabilité.

Curieusement, dans ce moment de déréliction, ce malfaiteur-là ne demande pas à Jésus de le délivrer, mais juste de se souvenir de lui. Quand on y pense, c’est une attitude plutôt improbable. Dans sa situation, alors qu’il est sur le point de mourir, quel intérêt a-t-il à ce que Jésus se souvienne de lui ?

En fait, sa demande nous informe avant tout sur lui-même. Elle nous dit qu’il croit à une vie après la mort, à un autre monde dans lequel Jésus exercera sa toute-puissance.

Quelques jours plus tôt, lorsque Jésus entra dans Jérusalem, beaucoup pensèrent qu’il allait monter sur le trône de David et manifesterait sa toute-puissance. Mais cela ne s’est pas passé ainsi. On s’est moqué de lui, on l’a insulté, on l’a condamné, et maintenant il vit ses derniers instants à côté de deux criminels, un échec incommensurable.

Et c’est justement ce moment de déréliction que Jésus choisit pour parler de sa toute-puissance. Et il délivre cette parole au pire criminel qui soit, un condamné à mort, mais un condamné à mort qui pose sur Jésus et sur sa propre vie un regard de vérité. Lui est un pécheur, il le sait, et Jésus seul a le pouvoir de le sauver.  

Qu’est-ce que les paroles de ce malfaiteur nous font comprendre ? Que nous disent-elles ?

Contrairement à son compagnon d’infortune, ce malfaiteur-là porte un regard de vérité à la fois sur Jésus et sur lui-même.

C’est son regard de vérité qui le place dans une communion avec le Christ, et c’est cette communion qui le sauve.

Cette aptitude à voir les choses dans leur vérité sans les infléchir au gré de notre propre subjectivité n’est pas nouvelle. Le Premier Testament appelle tous ceux qui manifestent cette honnêteté intellectuelle des justes. Ils n’ont une vie irréprochable, mais ils portent sur eux-mêmes un regard de vérité, parce qu’ils connaissent le Dieu auquel ils s’adressent, comme l’auteur de ces paroles, dans le Psaume 51 : Oui, je connais mon péché […]. Ainsi, tu peux parler et montrer ta justice, être juge et montrer ta victoire […]. Tu veux au fond de moi la vérité. Dans le secret, tu m’apprends la sagesse.

Ce récit d’évangile conduit son lecteur au bout d’un temps, dans un instant de passage entre ce monde-ci, dans lequel Jésus a refusé d’exercer un quelconque pouvoir, et le monde à venir, dans lequel il révélera sa toute-puissance.

Il la manifeste sans plus attendre, en donnant à ce malfaiteur cette promesse : « Aujourd’hui, tu seras avec moi dans le paradis. »

Il dit bien « aujourd’hui », parce qu’après la mort le temps n’existe plus. Il appartient en effet à la création, au même titre que l’espace et tout ce que nous voyons.

Au moment où ce malfaiteur va quitter ce monde, il est sur le point d’entrer dans l’aujourd’hui de Dieu. Et malgré son indignité, il nous précède tous.

Ce qui a vaincu son indignité, c’est le regard de vérité qu’il a été à même de poser sur Jésus et sur lui-même. Cela suffit à faire de lui un juste.

Posons donc un regard de vérité sur le Christ, qui fera de nous aussi des justes.

Amen

 

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