La nuit est propice à la méditation et à la vie spirituelle. Les moines et les moniales le savent bien, eux qui interrompent leur sommeil pour se consacrer à la prière.
Avec le soin des bêtes, c’est cette particularité de la nuit qui donne au métier de berger un caractère particulier. De nombreux personnages bibliques étaient d’ailleurs des bergers : pensons par exemple à David, ou encore à Jésus lui-même, que l’Evangile de Jean présentera comme le bon berger. Ce n’est donc pas un hasard si la naissance du Messie est annoncée d’abord à des bergers qui gardent leurs troupeaux sous le ciel étoilé.
Oui, les bergers sont au bénéfice de conditions favorables à la méditation et à la vie spirituelle. Cependant, cela ne doit pas nous faire oublier que dans le judaïsme, cette catégorie de la population était objet de mépris. Le métier de berger exigeait un travail de jour comme de nuit, une contrainte qui empêchait ceux qui l’exerçaient de participer aux fêtes religieuses. C’était rédhibitoire. Pourtant, dans cet Evangile ce sont bien des bergers qui sont choisis pour être les premiers à découvrir le Nouveau-né qui sauvera son peuple.
Alors que dans son Evangile Matthieu réservera cet honneur à des intellectuels étrangers, en la personne des mages, Luc met en scène de simples bergers. Il souligne ainsi que le message évangélique s’adresse aussi aux plus humbles. Il est logique que, dans la mesure où l’humilité est la condition indispensable pour que le message de l’Evangile puisse être reçu, les plus humbles soient plus réceptifs que d’autres.
Et pour pouvoir trouver le Nouveau-né, les bergers reçoivent deux indices : il sera couché dans une mangeoire, et cette mangeoire ils devront la chercher dans la ville de David.
Ces bergers ont beau être éloignés du judaïsme, ils ont pourtant suffisamment de connaissances religieuses pour savoir que la ville de David, c’est Bethlehem. C’est donc là qu’ils se rendent, avec beaucoup d’empressement, et ils y trouvent le Nouveau-né.
Et l’Evangéliste nous emmène dans un récit empreint de merveilleux. Marie et Joseph sont les premiers à entendre l’histoire des bergers, comment ils ont trouvé celui que les anges leur ont présenté comme le Sauveur d’Israël. Par leur bouche, Marie et Joseph entendent que leur enfant nouveau-né sera le Christ, qui est l’autre mot pour désigner le Messie.
Pour Marie, ce n’est pas chose nouvelle : quelques mois plus tôt, l’ange Gabriel lui annonçait qu’elle serait enceinte, que son enfant serait appelé Fils du Très-Haut, qu’il succéderait au roi David pour toujours, et que sa naissance ne suivrait pas les lois de la nature. Et Marie en avait été très étonnée. Nous avons vu dimanche dernier comment elle en avait eu la confirmation objective en allant rendre visite à sa cousine Elisabeth.
Les paroles des bergers rappellent maintenant à Marie que cette annonce qu’elle avait entendue à travers l’ange Gabriel est maintenant devenue réalité.
Et cette fois-ci, Marie ne pose pas de questions comme la première fois. Elle comprend l’importance de ce qui lui est rappelé. Alors elle intériorise toutes les paroles des bergers, elle les garde dans sa mémoire et les repasse dans son cœur. Son attitude rappelle celle de Samuel, dont l’Ecriture nous dit qu’il ne laissait tomber à terre aucune parole venue de Dieu.
En faisant appel à sa mémoire pour conserver ce qui est essentiel, Marie fait preuve, malgré son jeune âge, de maturité et de sagesse. Elle a compris que la mémoire jouait un rôle majeur dans la vie spirituelle.
Faire appel à sa mémoire, accueillir et garder tous les événements marquants dans son cœur, c’est l’attitude qui caractérisera Marie, c’est une attitude qui chez elle va devenir naturelle : nous verrons Marie agir de la même manière dans d’autres circonstances.
Notre mémoire joue un rôle capital dans notre vie spirituelle. C’est à travers notre mémoire que le Saint-Esprit nous rappelle les choses essentielles et qu’il nous fait comprendre les Ecritures. C’est aussi notre mémoire qui nous donne notre identité.
Oui, notre mémoire est un élément déterminant de notre vie spirituelle, dans la mesure où elle opère en nous un travail de discernement : nous ne nous souvenons pas de tout, mais seulement de ce qui revêt de l’importance pour nous.
Parmi toutes les informations que nous recevons, notre mémoire ne garde pas tout : elle fait un tri et ne conserve que ce qui en vaut la peine, selon une logique mystérieuse qui nous échappe.
En cela, notre mémoire supprime les effets du temps. Le peintre Balthus disait que la mémoire, c’était le temps vaincu. Notre mémoire nous fait revivre dans le présent des événements qui appartiennent au passé. En court-circuitant le temps, notre mémoire nous place d’emblée sur le plan de Dieu. C’est pourquoi saint Augustin disait de la mémoire qu’elle était un sanctuaire, c’est-à-dire un lieu que Dieu est susceptible d’habiter, et que c’est dans notre mémoire que nous trouvons Dieu.
Oui, dans la mesure où notre mémoire nous permet de quitter notre temporalité, elle nous donne un avant-goût de la vie avec Dieu, qui est hors du temps.
Cette réalité, Marie l’a bien comprise et son attitude est à même de nous inspirer.
Alors, pour préparer notre avenir avec Dieu, pour préparer cette année 2016 qui va bientôt commencer, il est bon de recourir à notre mémoire et de nous attarder sur ce qu’elle a gardé. Et comme Marie, nous pourrons alors repasser dans nos cœurs les paroles qui nous ont été données et qui nous éviterons de rester dans une existence superficielle, car ces paroles nous feront vivre.
Amen.