Luc 18, 9-14 – Mon Dieu, je te rends grâce…

par le Pasteur Bernard Mourou

Si un jour vous vous êtes trouvés dans d’autres pays ou dans d’autres communautés chrétiennes, vous avez peut-être été surpris de découvrir des manières de prier très différentes de la vôtre. La façon de s’adresser à Dieu dépend beaucoup du milieu dans lequel nous avons grandi, car toute prière s’enracine dans une culture.

Nous en avons un exemple dans ce texte qui met en scène, dans un style schématique, presque caricatural, deux manières de prier complètement différentes. Luc est le seul Evangéliste à nous rapporter cette petite histoire qui convoque deux personnages radicalement différents et dont la prière n’a rien en commun. Nous avons ici deux personnages complètement opposés, deux personnages radicalement différents :

  • d’un côté un pharisien, qui représente l’élite religieuse en termes de ferveur et de pratique ; le mot « pharisien » veut dire « séparé » ; le pharisaïsme est à l’époque, au sein du judaïsme, un courant qui veut revenir à la pureté originelle ; sans vouloir choquer personne, plus près de nous, on pourrait rapprocher les pharisiens des revivalistes au XIXe siècle, qui voulaient retrouver une piété supposée disparue ;
  • et de l’autre côté nous avons un publicain, qu’on appelle aussi dans certaines traductions un collecteur d’impôts ; cette activité professionnelle fait l’objet d’un profond mépris ; aujourd’hui, travailler au service des impôts, c’est un emploi comme un autre, mais à l’époque, être collecteur d’impôts, cela signifiait qu’on collaborait avec cette puissance d’occupation romaine idolâtre qui était l’ennemie du judaïsme ; les collecteurs d’impôts étaient considérés comme des traitres à la nation et à la religion.

Il est intéressant de voir où cet extrait se situe dans l’Evangile : il suit immédiatement un passage sur la prière (la parabole de la veuve et du juge inique), et il précède le passage où Jésus met en avant des enfants en les présentant aux disciples comme des modèles pour le croyant. Il fait donc le lien entre la question de la prière et l’accueil inconditionnel.

Revenons maintenant à nos deux personnages : ils se rendent tous les deux à Jérusalem pour prier. Les juifs montaient trois fois dans l’année en pèlerinage au Temple de Jérusalem. Et l’Evangéliste retranscrit pour nous leur prière respective. Le pharisien prie debout. Jusque-là il n’y a rien d’anormal : c’était la manière de prier pour les juifs de l’époque : ils priaient debout en levant les mains vers le ciel. Et ensuite, lorsqu’il commence sa prière, il faut reconnaître que sa prière commence plutôt bien, elle commence par une louange adressée à Dieu : Mon Dieu, je te rends grâce.

C’est ce que nous faisons dans nos cultes : nous commençons par une prière de louange, puis nous continuons par la prière de repentance et nous terminons par la prière d’intercession, qui est une prière de demande. Lorsque nous simplifions, pour les jeunes à l’école biblique et au catéchisme, nous résumons cela avec ces trois mots : merci, pardon, s’il-te-plaît.

La prière du pharisien commence donc tout-à-fait bien. Mais après, les choses se gâtent et ce pharisien nous devient tout à coup beaucoup moins sympathique. Nous nous rendons compte que s’il rend grâce, c’est parce qu’il se considère différent des autres, mieux ou meilleur que les autres (on retrouve bien là tout ce qui fait la spécificité des pharisiens). Si encore il louait Dieu pour la diversité de l’humanité, mais ce n’est pas le cas. Ce qui ressort de sa prière, ce qui contamine sa prière, pourrait-on dire, c’est qu’il y introduit du moralisme : les autres, ils sont voleurs, injustes, adultères. Non seulement il a une piètre image de l’humanité, mais en plus il laisse entendre que lui, il n’est ni voleur, ni injuste, ni adultère, et il en tire un titre de gloire. Le moralisme finit toujours par le jugement d’autrui. Or nous ne sommes pas appelés à juger, mais à aimer.

Si l’on a besoin de se considérer comme quelqu’un de bien, c’est plus facile d’y arriver en se comparant à ceux qui ont des failles. Le publicain sert au pharisien de faire-valoir. Chaque fois que nous rencontrons une personne qui met en avant la morale, nous rencontrons une personne qui tôt ou tard nous jugera. C’est le levain des pharisiens contre lequel Jésus a mis ses disciples en garde. Gardez-vous du levain des pharisiens, dit-il dans cet Evangile de Luc quelques chapitres plus tôt. Dans l’Eglise, le moralisme n’a pas sa place parce qu’il va à l’encontre de l’Evangile.

Puis le pharisien continue sa prière en énumérant ce qu’il fait pour Dieu – comme si Dieu ne le savait pas ! Il jeûne deux jours sur sept et donne 10 % de tous ses revenus, comme la loi juive le lui demande. Il est donc irréprochable aux yeux de la Loi, et il n’a aucun doute à ce sujet. Pour actualiser notre texte, on pourrait dire qu’il a l’assurance de son salut, ce qui est le case de la majorité d’entre nous.

Voyons maintenant la prière du publicain. Tout est différent :

  • il ne prie pas debout les mains levées vers le ciel, il n’occupe pas triomphalement tout l’espace comme le pharisien, mais il se tient à l’écart, à distance, et il n’ose pas lever les yeux et fait le geste de contrition qui consiste à se frapper la poitrine
  • et puis sa prière ne commence pas par une louange, mais par une requête : Montre-toi favorable au pécheur que je suis !
  • et enfin sa prière est beaucoup plus courte, beaucoup moins bavarde, mais aussi beaucoup plus efficace : quand cet homme revient chez lui, il est justifié par Dieu.

Alors pourquoi l’un est-il justifié et l’autre non ? Qu’est-ce qui fait la différence entre ces deux personnages et leurs deux prières ?

Eh bien nous pouvons résumer les choses en disant que le publicain est tourné vers Dieu, alors que le pharisien est tourné vers lui-même. Dans sa prière, il est frappant qu’il dise « je » à cinq reprises. La grande tentation pour chaque être humain, c’est la tentation de l’autonomie, c’est-à-dire de vivre par soi-même et pour soi-même, sans un regard pour la Transcendance. A vouloir se considérer juste lui-même, le pharisien reste enfermé dans son péché. En revanche, le publicain est libéré de son péché simplement en se reconnaissant pécheur. Le pharisien est pécheur en cela même qu’il se justifie lui-même au lieu de se tourner vers Dieu. Le publicain est justifié en cela même qu’il sait ne pas pouvoir se justifier lui-même, son attitude le détourne de lui-même et le dirige vers Dieu. Dans sa prière, le publicain prend en compte la réalité et sait qu’il est pécheur. Or les deux sont pêcheurs, pas seulement le publicain. Mais le publicain reconnaît le fait qu’il l’est alors que l’autre n’en a pas conscience et vit dans l’illusion.

Ce petit texte est un de ceux qui parlent le plus clairement du salut par la grâce seule chère à nous autres protestants. Non seulement le publicain obtient miséricorde sans l’avoir méritée, mais à aucun moment il ne dit promet à Dieu de changer et de vivre plus pieusement, et pourtant il a le regard favorable de Dieu. On ne peut pas montrer de manière plus claire que les œuvres ne sont d’aucune utilité pour être justifié devant Dieu.

Amen

 

 

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