Luc 17, 11-19 – Dix lépreux

 

Pasteur Bernard Mourou

Jésus se rend à Jérusalem. Mais, curieusement, pour y aller il passe par la Samarie puis par la Galilée, c’est-à-dire qu’au lieu de se diriger vers le sud il fait un grand détour vers le nord.

Logiquement, rien ne peut légitimer ce trajet, si ce n’est une volonté de faire une incursion dans les marges du judaïsme.

Et de fait, son périple donne lieu à des rencontres inattendues. Sur son chemin, des lépreux viennent vers lui.

Ils sont dix. Ils vivent sans doute ensemble, dans la mesure où leur maladie les exclut de la communauté sociale et religieuse.

La lèpre, dans le Premier Testament, désigne seulement diverses impuretés de la peau et non la maladie que nous connaissons sous ce nom aujourd’hui. Mais quoi qu’il en soit, la personne qui souffrait de cette affection était considérée comme religieusement impure et donc exclue de la société. A cet égard le livre du lévitique est clair : Le lépreux habitera à l’écart, son habitation sera hors du camp.

Une fois guéri, le lépreux devait suivre un rite de purification complexe qui consistait à offrir deux oiseaux dont l’un était tué et l’autre libéré, puis une semaine plus tard à procéder à un second sacrifice.

Contrairement à d’autres dans les évangiles, nos dix lépreux se conforment en tous points aux précautions en usage : ils restent à la périphérie du village et ils ne touchent pas Jésus.

Et puis ils montrent encore une marque supplémentaire de respect en appelant Jésus epistatês, un terme qui n’apparaît qu’ici et qui veut dire maître.

Leur seule attitude suffit à Jésus pour qu’il leur dise d’aller se montrer aux prêtres. Sa demande nous laisse comprendre qu’il s’agit par-là de faire constater leur guérison de manière formelle. Par-là, Jésus légitime la religion établie, représentée par les prêtres.

En effet, avant de pouvoir réintégrer la communauté religieuse, après sa guérison le lépreux devait encore consulter un prêtre pour avoir la garantie objective que pour lui tout était revenu dans l’ordre. Le prêtre avait un rôle réparateur. Sur ce point il n’y avait pas de différence notoire entre juifs et samaritains.

Nous voyons que nos dix lépreux continuent de se conformer fidèlement aux usages : tous, ils font ce que Jésus leur a demandé et vont voir un prêtre.

Et c’est en chemin, en cours de route, comme le dit notre traduction, que leur guérison a lieu. Elle se produit donc à distance.

On n’en connaît pas le moment exact, ni même si c’est le même pour les dix.

Et là il se passe une chose curieuse. Jusqu’à présent, le Samaritain était exclu de la société, absolument au même titre que ses neuf autres compagnons, mais il avait sa place dans ce groupe où tous étaient impurs. 

Paradoxalement, la guérison que Jésus opère lui fait renouer avec son isolement initial. Tant qu’il était malade, il vivait avec les autres, que la maladie réunissait et, d’une certaine manière, socialisait. Il était impur au même titre qu’eux.

Or maintenant, avec cette guérison il retrouve son statut initial, peu enviable, celui d’un Samaritain exclu de la société juive.

Les juifs méprisaient en effet ce peuple qui avait un autre corpus de textes, un autre centre religieux, d’autres rites.

Les évangiles se servent parfois de cette opposition entre ces deux communautés pour remettre les juifs en question en donnant les Samaritains comme modèles. C’est le cas ici, même si notre texte ne laisse rien paraître de cette animosité.

Quoi qu’il en soit, l’exclusion de ce Samaritain a finalement un effet bénéfique : il ne peut pas aller voir le même prêtre que les autres, il ne fait donc plus partie du groupe et commence alors à réfléchir par lui-même. C’est pourquoi il revient sur ses pas et pour aller exprimer sa reconnaissance à l’auteur de sa guérison.

En agissant ainsi, il se met à sa juste place. Il a compris qu’en tant qu’être humain il n’est pour rien dans sa guérison et qu’il la doit entièrement à Jésus.

Ce récit d’évangile nous donne son attitude en exemple.

Les neuf autres lépreux, en revanche, ne recourent pas à leur mémoire. Pour eux, le passé s’est évanoui. Ils sont devenus amnésiques. Ils vivent uniquement dans le présent. Ils jouissent juste de leur guérison sans avoir seulement une pensée pour celui qui l’a rendue possible.

Leur superficialité leur fait manquer cette occasion d’avoir un échange avec Jésus et leur vie s’en trouve appauvrie.

Ce texte nous invite à ne pas faire preuve de la même amnésie, à savoir regarder en arrière pour voir dans nos vies qui est à l’origine de nos libérations et, comme ce Samaritain, à lui exprimer sans tarder notre reconnaissance.

Amen

 

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