par le Pasteur Bernard Mourou
Il y a deux semaines, notre texte du dimanche mettait en scène des samaritains qui refusaient d’accueillir Jésus et ses disciples en pèlerinage vers Jérusalem.
Quelques mots sur les Samaritains, puisqu’il en est question dans notre texte d’aujourd’hui : les Samaritains étaient détestés, parce qu’ils pratiquaient une religion qui s’écartait de la religion juive classique ; ils ne reconnaissaient que la Torah, c’est-à-dire les cinq premiers livres de la Bible, et pas les autres écrits ni la Loi orale, c’est-à-dire les commentaires de la tradition.
Mais les Evangiles ne mettent jamais les individus dans des cases, et leur appartenance sociale n’est jamais le critère déterminant. C’est ainsi que le texte d’aujourd’hui réhabilite l’image de ce peuple méprisé, avec cette histoire que nous connaissons sous le nom de « parabole du bon Samaritain ». Mais en fait, ce texte est peut-être moins une parabole qu’un cas d’école dans un contexte de casuistique, c’est-à-dire de l’étude qui consiste à déterminer le bon comportement à tenir dans telle ou telle circonstance particulière.
Ce qui amène Jésus à présenter ce cas d’école, ce sont les deux questions que lui pose un spécialiste de la Loi : l’une sur la vie éternelle, l’autre sur le prochain. Les spécialistes de la Loi étaient des casuistes, c’est-à-dire qu’ils avaient pour rôle de donner à ceux qui pratiquaient la religion un code de la conduite à tenir dans toutes les circonstances de la vie.
Notre homme nous est d’emblée présenté sous un jour peu favorable : le texte nous dit qu’il veut mettre Jésus à l’épreuve. En fait il tend un piège à Jésus, qui devra soit répondre sur le même mode, en casuiste, en faisant de la Torah un code de Lois mortifère, soit donner une réponse non-orthodoxe, de sorte qu’il sera disqualifié.
En elles-mêmes, les deux questions que pose ce spécialiste de la Loi ne sont pas importantes, elles ne sont que des prétextes. C’est pourquoi Jésus se garde bien de répondre à ses questions, marquant ainsi sa différence : il n’est pas un spécialiste de la Loi, il ne fait pas de la Bible un code de lois.
Laissons donc de côté ces questions et penchons-nous directement sur ce cas d’école que Jésus propose à la méditation de cet homme. Ce cas d’école met en scène quatre personnages :
- un prêtre juif, lui aussi spécialiste de la Loi, tout comme l’interlocuteur de Jésus
- un lévite, spécialiste de la Loi, comme le précédent
- un Samaritain
- un homme victime de bandits et laissé pour mort, dont on ne sait d’ailleurs pas s’il est juif ou samaritain.
Il est évident qu’en entendant cette histoire, notre spécialiste de la Loi ne peut que s’identifier au prêtre ou au lévite, parce qu’il appartient au même monde.
Or celui qui a le beau rôle dans cette histoire, ce n’est ni le prêtre, ni le lévite, mais c’est le Samaritain. Cet hérétique, cet étranger, n’attache aucune importance la Loi orale qui caractérise le judaïsme et qui est au centre de ce débat. Et pourtant, personne n’aurait pu agir mieux que lui. Il a été parfait : non seulement il a sauvé la vie de cet homme, mais il a tout mis en œuvre pour que son rétablissement se déroule sous les meilleurs auspices. Le prêtre et le lévite, eux, se sont contenté de passer leur chemin et ont laissé la victime sur le bas-côté. Aujourd’hui, ils seraient passibles de non-assistance à personne en danger.
Alors on peut en conclure qu’un prêtre ou un lévite peuvent manquer d’humanité et qu’un Samaritain peut avoir un comportement altruiste… Bien sûr, ce n’est pas faux, mais c’est aller un peu vite et faire de ce texte une lecture superficielle. Non, Jésus avait une autre visée quand il a pris ce cas d’école.
Pour bien comprendre ce que Jésus veut dire ici, il faut avoir en tête le texte de la Torah, parce que c’est lui qui régit toute la vie de notre homme, jusque dans ses moindres détails. Que dit la Torah dans ce genre de circonstances ? Elle dit ceci : Celui qui touche un mort – n’importe quel corps humain – restera impur pendant sept jours. Il se purifiera avec l’eau lustrale le troisième jour et sera en état de pureté le septième jour. […] Quiconque touche un mort – un être humain qui est mort – et ne se purifie pas, rend impure la demeure du Seigneur. Celui-là sera donc retranché d’Israël. Puisque l’eau lustrale n’a pas été répandue sur lui, il est impur, il reste en état d’impureté.
Or le prêtre et le lévite sont en déplacement et s’ils touchent cet homme dans le bas-côté qui est peut-être mort, ils n’auront pas la possibilité de se purifier. S’ils portent secours à la victime, ils prennent le risque de se voir interdire l’accès au Temple de Jérusalem et d’être retranchés de leur peuple. En passant leur chemin, ce prêtre et ce lévite obéissent simplement à ce que commande la Torah. Ils laissent mourir un homme, mais sur le plan de la Loi, ils sont absolument irréprochables et pourront officier dans le Temple sans aucune restriction.
En fait, l’accent n’est pas tant mis sur le manque d’humanité du prêtre et du lévite, que sur le manque de pertinence de la Loi. Ici, ce n’est pas le spécialiste de la Loi qui est remis en question : c’est la Loi elle-même et son statut.
C’est par ce biais que Jésus va remettre en question son interlocuteur, qui dès sa première question a montré son souci légaliste : Que dois-je faire pour hériter la vie éternelle ? Que dois-je faire ? Mais la vie éternelle n’est pas à obtenir à la force du poignet : elle nous est offerte !
Avec ce cas d’école, Jésus veut que son interlocuteur adopte un autre regard sur la Loi. Il veut lui faire comprendre que dans certains cas, appliquer la Loi sans autres considérations, dans une soumission aveugle, peut avoir de très graves conséquences, jusqu’à mettre la vie d’autrui en danger. Oui, l’application tatillonne, pointilleuse, de la Loi, conduit à négliger l’essentiel et peut avoir les conséquences extrêmement funestes, comme provoquer la mort d’un être humain. Voilà le rôle de ce cas d’école.
Mais ce cas d’école n’est-il destiné qu’aux juifs du temps de Jésus ? Je ne le crois pas. Il arrive qu’on me demande si notre Eglise permet tel ou tel comportement. Oui, l’Eglise est parfois vue comme une organisation qui doit justifier ou invalider les choix éthiques de nos contemporains, qu’ils soient paroissiens ou non.
C’est un contresens total sur la nature de l’Eglise et sur le message qui est le sien : un message d’amour libérateur. L’amour échappe à toute codification. Vivre dans l’amour, ce n’est pas faire attention à ce qui serait permis ou interdit, mais c’est vivre dans la liberté.
Amen.
Bernard Mourou