Jean 8, 1-11 – Intransigeance ou laxisme, même combat ?

Comme beaucoup de maîtres religieux, on sait que Jésus n’a jamais rien écrit. Ce sont ses disciples qui ont rédigé tous les textes du Nouveau Testament. Non, Jésus n’a jamais rien écrit, sauf… dans cet épisode que l’Evangile de Jean est le seul à rapporter. Jésus s’était baissé et, du doigt, il écrivait sur la terre.

Oui, ici et ici seulement Jésus nous est montré en train d’écrire… si toutefois c’est bien d’écriture qu’il s’agit.

Saint Jérôme, le traducteur de la Bible latine, pensait que Jésus avait écrit les péchés de ceux qui accusent cette femme, d’autres ont dit qu’il aurait cité un passage des Ecritures – mais lequel, l’Evangéliste n’a pas jugé utile de nous le dire… –, d’autres encore sont d’avis qu’il aurait dessiné.

Nous nous garderons bien de trancher : nous n’y étions pas. Mais en revanche nous sommes sûrs d’une chose, c’est qu’en se penchant sur le sol Jésus prend de la distance par rapport à cette situation qui suscite les passions.Car la situation est devenue passionnelle : un acte sacrilège aux yeux de la société a été commis. Comment réagir face à un groupe qui veut faire un sort à la femme qui en est responsable ?

La loi religieuse, pour ce cas précis, prévoyait la mort. Le livre du Deutéronome le dit très clairement : ils mourront tous les deux – c’est-à-dire l’homme et la femme –, tu ôteras le mal du milieu d’Israël.

Dans la mesure où la loi est claire, quel besoin ont-ils de s’adresser à Jésus, lui qui ne détient aucune autorité officielle, qui n’a aucun mandat de la part des instances religieuses, qui n’a absolument pas le pouvoir de condamner ou de gracier cette femme ?

C’est évident, ce qu’ils cherchent, c’est simplement à lui tendre un piège. Car s’ils avaient un réel désir de justice, ils seraient aussi allés chercher l’homme, qui est tout aussi coupable que cette femme et pour lequel la loi prévoit aussi la mort : Ils mourront tous les deux.

Et leur piège a toutes les chances de se refermer sur Jésus : Cette femme mérite-t-elle la mort, oui ou non ? Les pharisiens, par leur façon d’aborder les problèmes, ont le génie d’enfermer les gens dans des situations dont il est impossible de sortir. Ils ont l’art de verrouiller l’avenir.

Jésus est donc cerné. S’il prend à son compte ce que dit la loi, il trahit son message de grâce et il accepte d’entrer dans le cercle infernal de la condamnation – c’est inenvisageable – et s’il prend la défense de cette femme, il se met en contradiction avec la Loi et il perd toute crédibilité – ça aussi, c’est inenvisageable.

A travers cette femme, c’est donc Jésus qui est visé. Et le lieu choisi pour ce lynchage en règle n’est pas anodin, c’est un lieu stratégique : l’espace devant le Temple de Jérusalem ; le moment n’est pas non plus choisi au hasard : c’est juste le moment où Jésus dispense son enseignement.

Chaque fois qu’une situation devient passionnelle, il est sage de se mettre à l’écart et de prendre le temps de la réflexion. C’est ce que fait Jésus, et il le fait deux fois.

Pendant qu’il est penché sur le sol, il a le loisir de réfléchir, et ceux qui sont autour de lui aussi. Nous voyons qu’il refuse de répondre dans l’instant à la sollicitation qui lui est adressée. Il refuse de se soumettre sans délai à ces pharisiens qui le poussent à prendre une position pour ou contre.

Jésus a bien adopté l’attitude la meilleure attitude devant cette situation. Face à ses détracteurs, il met à profit le temps qui passe tandis qu’il reste penché sur le sol.

Pendant ce temps, ce temps qui s’éternise, le silence s’installe, un silence qui leur permet de réfléchir au lieu d’être sous l’emprise de leurs émotions. Et dans le silence et le temps qui passe, ils se trouvent face à leur conscience. Jésus a réussi à désamorcer le lynchage qui était en train de se mettre en place.

Mais ces pharisiens qui étaient prêts à lyncher cette femme, sont-ils si différents d’elle ? Ils attisent les clivages : le clivage entre les hommes et les femmes, le clivage entre les bien-pensants et les « pécheurs », le clivage entre les laxistes et les religieux fervents dont ils sont les fidèles représentants en se séparant des autres – c’est le sens du mot « pharisien » : ils s’appelaient ainsi pour bien signifier leur volonté de se séparer des autres, de ceux qui n’appliquaient pas la loi aussi bien qu’eux.

Finalement, ce que les pharisiens reprochent à cette femme, cet adultère qui a provoqué la rupture d’un couple, c’est l’attitude qu’ils reproduisent sans s’en rendre compte vis-à-vis de leurs coreligionnaires.

On peut penser que pour Jésus, leur attitude est tout aussi navrante que celle de cette femme. Car finalement, le péché fondamental, ce n’est pas tel ou tel manquement à la morale, mais c’est tout ce qui entraîne les séparations et les divisions. C’est dans ce sens que la Bible parle du diable comme du diviseur. Si l’adultère est un facteur de rupture pour le couple, l’attitude des pharisiens est aussi un facteur de rupture pour la société.

A tous ses contradicteurs avides de se juger les uns les autres, Jésus rappelle une vérité trop vite oubliée : il leur rappelle que tout être humain est enfermé dans le péché. Même si certains péchés paraissent plus graves que d’autres, fondamentalement le péché reste le péché, qu’il soit grave ou non. Le péché instaure une rupture entre l’être humain de Dieu. Le péché, c’est la séparation, quelle que soit la forme qu’elle prenne.

Ce récit d’Evangile nous parle d’une recréation, d’une recréation qui ne prend plus son origine dans l’observance de la loi qui sépare, mais dans la grâce qui réunit. Et sur le sol, avec son doigt, ce sont bien les fondements d’une nouvelle loi que trace Jésus, une loi qui ne condamne plus l’être humain, mais qui le sauve. Par sa Parole de la grâce, il libère cette femme pour une vie nouvelle. Comme aurait dit l’apôtre Paul, il fait d’elle une nouvelle création.

Amen.

Bernard Mourou

 

 

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