Jean 6, 51-58 – La nouvelle manne

                                                                                                                                               

Pasteur Bernard Mourou

Sous nos latitudes, la nature est généreuse et nous ne connaissons pas ces zones désertiques dans lesquelles l’être humain court toujours le risque de mourir de faim ou de soif.

Et pourtant, la notion de désert nous parle, elle résonne en nous, parce qu’elle nous renvoie à une autre réalité : non pas à la réalité d’un désert  géographique, mais à celle d’un désert spirituel. Et sur ce point, dans nos pays d’occident, il n’échappe à personne que le désert spirituel ne cesse de progresser.

Le récit biblique raconte qu’après avoir quitté l’Egypte, le peuple hébreu a traversé le désert, et que dans ce lieu inhospitalier, il a pourtant survécu pendant quarante années. Il a survécu parce qu’il avait à sa disposition une nourriture mystérieuse. Cette nourriture, c’était la manne. C’est grâce à la manne qu’il s’est maintenu en vie.

Les Ecritures nous présentent la manne comme un aliment hors du commun : chaque matin, le peuple partait la chercher et revenait avec une quantité qui suffisait pour la journée. On ne pouvait pas la stocker et on devait la chercher chaque matin, sauf bien sûr le jour du sabbat, car la portion de la veille suffisait toujours pour deux jours. C’est en tous cas ainsi que le texte biblique présente la chose.

On le voit, ce qui est particulier avec la manne, c’est son caractère étrange, d’où son nom en hébreu : Man hou ? une expression qui veut dire Qu’est-ce que c’est ?

Alors je vous invite à rester dans le domaine du mystère. Il existe un lien étroit entre Jésus-Christ et la manne. Comme vous le savez, l’Evangile de Jean commence par un prologue, et ce prologue présente Jésus-Christ comme le Logos. Le Logos, c’est pour un Grec le discours parfait. Certaines de nos Bible traduisent ce mot par le Verbe ou la P arole.

Le livre du Deutéronome établit un lien entre la manne et la Parole de Dieu : Après vous avoir fait souffrir de la faim, Dieu vous a donné la manne, une nourriture inconnue de vous et de vos ancêtres. De cette manière, il vous a montré que l’homme ne vivra pas de pain seulement, mais de toute parole que Dieu prononce, ou, pour être plus fidèle au texte original, de tout ce qui sort de la bouche de Dieu.

Le texte de ce dimanche établit lui aussi un lien entre Jésus-Christ et la manne, en présentant Jésus-Christ comme la nouvelle manne, comme le pain vivant descendu du ciel, selon l’expression de l’Evangéliste.

Ce pain mystérieux est un pain vivant, c’est-à-dire un pain qui donne la vie. Nous sommes des êtres de parole et c’est pourquoi la parole est au cœur de la vie. La vie, notre vie, dépend de la Parole.

Lorsque nous parlons, c’est pour exprimer quelque chose. Si une parole n’exprime rien, elle est inutile, elle n’est qu’un bruit qui fatigue. Jésus-Christ nous sauve de la futilité pour nous conduire vers la vraie vie.

Si nous sommes des êtres de parole, il en va de même pour le Dieu des Israélites. Le début de la Genèse nous montre un Dieu qui crée au moyen de sa Parole. Et le Prologue de notre Evangile ne nous dit pas autre chose quand il s’ouvre par ces mots : Au commencement était le Verbe, la Parole de Dieu, et le Verbe était auprès de Dieu, et le Verbe était Dieu. Oui, le Dieu d’Israël est un Dieu qui parle, et  le récit biblique dit que nous sommes créés à son image.

Mais le texte de ce dimanche nous invite à aller plus loin et à dépasser ce rapport entre la manne et la parole. Car nous pouvons voir aussi dans notre passage une allusion à la célébration de la Cène, qui était déjà ritualisée dans les Eglises à la fin du Ier siècle, à l’époque cet Evangile a été rédigé : Le pain que je donnerai, c’est ma chair, si vous ne mangez pas la chair du Fils de l’homme, et si vous ne buvez pas son sang, vous n’avez pas la vie en vous. Celui qui mange ma chair et boit mon sang a la vie éternelle. Il y a là de la part de notre Evangéliste une volonté claire pour relier le sacrement à cette parole.

Notons au passage que c’est ce genre de texte qui a pu faire accuser les chrétiens d’anthropophagie. Mais si l’Evangéliste s’exprime ainsi, c’est parce que l’image du repas décrit le mieux du processus d’assimilation qui s’opère entre Jésus et  ses disciples.

Pour parler du sacrement, Calvin, à la suite de saint Augustin, utilisait l’expression parole visible, qu’il opposait à la prédication, la Parole prêchée, qu’il désignait par l’expression de parole audible. Dans cette perspective, la prédication est une parole qu’on entend, la Cène est une parole qu’on voit.  

Oui, si la prédication permet d’exprimer une idée, c’est aussi ce que fait la célébration de la Cène. Mais cela ne se passe pas de la même manière : le sacrement utilise les gestes, les signes et les symboles.

Et c’est justement cette parole, sous ses deux formes, audible et visible, la parole de la prédication et la parole du sacrement, qui va nous aider à survivre dans nos déserts spirituels.

Fondée sur Jésus-Christ lui-même, cette parole est de loin supérieure à la manne qui a nourri les Hébreux, qui leur a permis de survivre dans le désert, mais qui ne les a pas délivrés de la mort : ils ont connu le sort réservé à tout être humain. En revanche, cette nouvelle manne qu’est Jésus-Christ donne la vie à celui qui s’en nourrit : Celui qui mange ma chair et boit mon sang a la vie éternelle, et moi, je le ressusciterai au dernier jour. Celui qui mange ce pain vivra éternellement.

Parce que cette parole est le Christ, nous n’avons pas de prise sur elle. De même que Dieu ne se laisse pas enfermer dans quoi que ce soit, de même sa parole n’est pas enfermée dans des mots.

Cette Parole de Dieu vient à nous par les Ecritures et par tous les commentaires qu’elles ont suscités. En effet, la Parole de Dieu transcende les mots, elle est à trouver au-delà du texte, dans le renouvellement incessant de la lettre par l’intelligence. C’est pourquoi nous ne sommes pas invités à une lecture littérale du texte biblique, mais à une lecture intelligente. C’est pour cela qu’une lecture littéraliste trahit le texte biblique.

Dans le désert, l’être humain ne peut pas vivre plus de quelques semaines sans manger, et pas plus de quelques jours sans boire. Parfois nous avons l’impression de pourvoir survivre plus longtemps dans nos déserts spirituels, sans aucune parole de Dieu. Mais sommes-nous encore vivants ?

Ce texte nous invite à chercher, comme les Israélites, une parole de Dieu pour nos vies.

Amen

 

 

 

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