Jean 21, 1-19 – Une apparition pleine de mystère

Cette apparition du Ressuscité en Galilée est la quatrième et la dernière que nous rapporte l’Evangile de Jean. Elle vient après celle de Marie-Madeleine au tombeau, puis celle des disciples dans la pièce où ils s’étaient enfermés par crainte des persécutions, puis celle dans le même lieu le dimanche suivant, qui s’était adressée tout spécialement à Thomas.

La plupart des exégètes pensent que le dernier chapitre de cet Evangile, le chapitre 21, est un ajout tardif qui a été écrit par un autre rédacteur.

Contrairement à ceux qui précèdent et qui ont tous pour cadre Jérusalem, ce dernier récit d’apparition n’a pas lieu en Judée, mais en Galilée. Et il s’adresse non pas à douze ou à dix, mais à sept disciples, sept, un chiffre tout aussi symbolique que douze, mais qui renvoie à la totalité des disciples et non plus au cercle restreint des Douze. D’ailleurs, il n’est pas sans intérêt de souligner que le mot « disciple » apparaît sept fois dans ce passage.

Sont présents Pierre, Thomas, Nathanaël, Jacques, Jean, et deux autres dont les noms ne sont pas mentionnés et qui renvoient à la foule des disciples anonymes dont nous sommes. Ces hommes ont repris leur activité habituelle : la pêche. Ils ont cessé de parcourir le pays avec Jésus. Cette parenthèse temporelle pendant laquelle ils ont côtoyé Jésus semble bel et bien avoir pris fin.

Tous les récits d’apparition présentent un caractère mystérieux, mais celui qui nous occupe ce matin est le plus mystérieux de tous, dans la mesure où il recèle un grand nombre d’incohérences. Il me semble qu’aucun récit d’Evangile n’en accumule autant.

Je vous invite à les répertorier avec moi :

  • 1re incohérence : Jésus appelle les disciples « Les enfants », comme le ferait une personne âgée, or l’âge de Jésus est sensiblement le même que celui des disciples ;
  • 2e incohérence : Pierre met un vêtement pour tout de suite se jeter à l’eau – il est vrai qu’il est spécialistes des actes irréfléchis ;
  • 3e incohérence : les disciples ne reconnaissent pas Jésus tout de suite ; certes, ils sont presque à 100 mètres de lui, mais nous constatons la même chose dans les autres récits d’apparition, qui montrent un Jésus est à la fois révélé et caché ;
  • 4e incohérence : les poissons qui ont été mis sur la braise ne sont pas les poissons que les disciples rapportent dans leurs filets, ils ont été mis là avant ;
  • 5e incohérence : les disciples comptent 153 poissons dans le filet, mais personne n’a encore trouvé pourquoi l’Evangéliste donne cette indication et ce qu’elle signifie ;
  • 6e incohérence : les disciples n’osent pas demander à Jésus qui il est, mais tout de suite après il est dit qu’ils savaient que c’était le Seigneur ;
  • 7e incohérence : le texte dit qu’il s’agit de la 3e apparition de Jésus à ses disciples, or ce n’est pas la troisième mais la quatrième.

Je n’ai pas la réponse à toutes ces questions, et pourtant je crois que ce texte nous dit quelque chose de fondamental.

Et ce qu’il nous dit passe par les deux disciples de premier plan que sont Pierre et Jean.

Commençons par Jean, si vous le voulez bien. Il agit comme un révélateur : c’est lui qui fait avancer le récit en disant à Pierre : C’est le Seigneur. Il reconnaît le Ressuscité. En fait, il agit comme médiateur : il met du sens. Grâce à lui, le lecteur comprend que désormais, la nouvelle relation qui s’établit entre Jésus et ses disciples n’est plus directe ni immédiate, mais qu’elle requiert des médiations. Jean est celui qui symbolise toutes les médiations à venir.

Dans le même ordre d’idées, une autre médiation se met en place : le repas improvisé sur cette plage fait penser au repas de la Cène, même si nous n’avons pas ici du pain et du vin, mais du pain et du poisson. Ce repas a été préparé de manière providentielle et c’est Jésus qui sert la nourriture aux disciples.

Tournons-nous maintenant vers Pierre. Nous nous rappelons que le récit évangélique l’avait laissé dans une situation assez pitoyable après son triple reniement. Eh bien le voilà désormais complètement réhabilité. Jésus lui donne même la responsabilité de ses brebis : il lui répète à trois reprises, sous des manières qui varient légèrement chaque fois : Sois le berger de mes agneaux, Sois le pasteur de mes brebis, Sois le berger de mes brebis.

Dans le dialogue qui s’instaure entre Jésus et lui sur l’amour dont il fait preuve, Pierre fait montre une grande honnêteté dans ses réponses. La langue française parvient difficilement à en rendre. Quand Jésus pose pour la première fois la question à Pierre de savoir s’il l’aime, il utilise un verbe qui désigne l’amour par excellence, et Pierre lui répond en employant un autre verbe, moins fort. Nous observons exactement la même chose la deuxième fois. Et enfin, la troisième fois, Jésus utilise le verbe utilisé par Pierre, il se met à son niveau. Ce qui est déterminant pour celui qui aura la responsabilité de ses brebis, ce n’est pas une fidélité hors normes, mais une honnêteté absolue. Pierre ne triche pas.

Revenons maintenant à notre passage. Nous avons vu que, contrairement aux trois récits d’apparition précédents, il nous a fait quitter Jérusalem pour la Galilée. Mais il n’y a pas que le lieu qui change : par l’entremise de Pierre et de Jean l’accent aussi se déplace : il est mis sur l’Eglise. Le théologien et exégète Jean Zumstein parle d’une mise en Eglise de l’Evangile.

Oui, notre passage met en place cette réalité nouvelle qu’est l’Eglise. Grâce aux médiations qu’elle nous offre, à travers les sacrements, elle permet à l’œuvre de Dieu de continuer à se réaliser malgré les déficiences humaines dont Pierre est la figure emblématique.

Avec ses maladresses et ses incohérences, ce dernier récit d’apparition nous dit quelque chose de fondamental sur la nouvelle relation de Jésus avec ses disciples qui a commencé après le matin de Pâques. Cette nouvelle relation n’est plus directe ni immédiate, mais elle requiert du temps et des médiations. Comme nous le savons tous, l’Eglise ne compte que des gens imparfaits – nous voilà rassurés – mais par les sacrements et toutes les médiations qu’elle met en œuvre, elle peut continuer à transmettre le message de Dieu aux hommes.

Amen.

Bernard Mourou

 

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