Jean 17, 11-19 – Dernière prière

Le texte de ce dimanche nous remet en mémoire les dernières recommandations de Jésus à ses disciples avant sa Passion. Jésus sait que le moment de sa mort approche et il veut donner à ses disciples tout ce qui leur sera nécessaire pour qu’ils puissent continuer à vivre lorsqu’il les aura quittés.

Il leur avait d’abord adressé un long discours d’adieu, qui avait commencé quatre chapitres plus tôt, au chapitre 13. Il leur avait parlé comme un père aurait pu le faire devant ses enfants avant de mourir. C’est une sorte de testament que Jésus avait laissé à ses disciples, un testament pour leur rappeler les choses essentielles.

Et maintenant, au terme de ce discours d’adieu, Jésus se met à prier son Père, et au cours de cette prière il lui adresse une demande pour ses disciples. C’est ce passage qui a été retenu pour la lecture de ce dimanche. Nous avons ici une partie de cette prière, celle qui concerne plus spécifiquement les disciples.

Jésus exprime l’essentiel avec des mots simples, avec des mots de tous les jours. Et pourtant notre passage est déroutant, comme il arrive souvent dans l’Evangile de Jean. Dans cette prière il est question de notions abstraites : il est question d’unité, de joie, de vérité, de consécration, et surtout de notre rapport au monde.

Jésus commence par la question de l’unité : Garde-les afin qu’ils soient uns comme toi et moi nous sommes un. Il ne s’agit en aucun cas pas de faire des disciples un groupe uniforme : chacun a sa personnalité et la gardera. Il s’agit bien plutôt de favoriser l’harmonie dans le groupe des disciples, sur le modèle de l’harmonie qui règne déjà entre Jésus et son Père.

Il n’est pas question de rechercher l’uniformité qui gomme toutes les différences : l’uniformité n’est une contrefaçon de l’unité. La véritable unité naît de la diversité. Il doit donc y avoir entre les disciples une qualité de relation qui rendra impossible les ruptures de toutes sortes.

Et comme cette unité fait place à la diversité, elle débouche tout naturellement sur la joie. Comment ne pas être dans la joie quand on a l’immense privilège de pouvoir être soi-même. Et cette joie d’être soi-même, c’est Jésus qui la donne, et ses disciples sont juste dans une attitude d’accueil : ils reçoivent cette joie, ils ne la fabriquent pas.

Et puis dans sa prière, Jésus aborde la question de la consécration. La consécration, on peut en avoir une idée erronée ; on peut la voir comme une tentative de se conformer à des exigences morales élevées. Mais en fait il s’agit seulement d’être mis à part. Il n’est pas dit que ce serait aux disciples de se consacrer eux-mêmes, il n’est pas dit que la consécration serait de leur responsabilité, mais il est dit qu’ils sont déjà consacrés. Ils ne sont pas actifs mais passifs. Ce ne sont pas eux qui se consacrent, mais ils reçoivent leur consécration, comme ils reçoivent la joie.

Les disciples sont déjà consacrés, et ils le sont par la vérité. Qu’est-ce que la vérité, dira Ponce Pilate. Ici, la vérité est définie clairement : c’est la parole. C’est cette parole de l’Evangile qui est garante de l’unité dans la diversité, c’est cette parole qui permet d’atteindre l’unité à travers la multiplicité, de réunir des gens qui au départ n’ont pas grand-chose en commun, parce que c’est cette parole qui permet à chacun de retrouver sa propre identité.

Des disciples unis entre eux, des disciples joyeux, des disciples consacrés, cela fait penser à un groupe harmonieux qui jouit de son bonheur, mais qui vit en marge de la société. Or, de la société, il en est question au cœur de cette prière, lorsqu’il est question du monde.

Mais qu’est-ce que ce monde dont parle l’Evangéliste ?

Il y a dans cette notion de monde quelque chose qui a trait à un ordre, qui suit une loi. Le monde est un ensemble ordonné, mais c’est un ordre qui n’est pas celui de Dieu. Dès lors nous vivons tous dans le monde, mais nous ne sommes pas du monde dans la mesure où nous ne suivons pas l’ordre qui prévaut dans le monde. L’ordre de l’Eglise s’oppose à l’ordre qui a cours dans le monde.

C’est cette tension qui donne lieu à des affirmations apparemment contradictoires et déroutantes : les disciples ont été tirés du monde, mais ils ne lui appartenaient pas ; Jésus ne prie pas pour le monde, alors qu’au chapitre 3, il disait qu’il était venu sauver le monde ; lui-même n’est plus dans le monde, mais les disciples sont toujours dans le monde, alors que quelques versets auparavant, Jésus disait qu’ils n’appartenaient pas au monde ; alors qu’il vient de dire qu’il n’est plus dans le monde, Jésus dit maintenant qu’il est encore dans le monde ; les disciples n’appartiennent pas au monde comme Jésus n’appartient pas au monde, mais il les envoie quand même dans le monde.

Ces affirmations contradictoires et déroutantes veulent simplement nous faire comprendre la tension qui existe entre notre réalité terrestre et la réalité céleste auquel le croyant a désormais pleinement accès. Les disciples de Jésus sont complètement dans le monde, sans toutefois lui appartenir en aucune manière.

Nous ne sommes donc pas invités à déserter le monde, à nous couper du monde. Vous vous souvenez que dans le livre de l’Exode, lorsque les Israélites ont quitté l’Egypte, ils ne sont pas partis sans rien, mais ils sont partis avec des objets précieux, des objets d’or et d’argent. Ils auraient pu dire qu’ils n’avaient plus rien de commun avec l’Egypte et refuser quoi que ce soit qui aurait pu leur rappeler le pays où ils avaient été esclaves. Mais non, ils n’ont pas dédaigné les richesses de l’Egypte, et plus tard c’est elles leur ont permis de fabriquer tous les ustensiles nécessaires pour le culte divin.

Comme les Israélites, nous n’avons pas à nous couper du monde sous prétexte que nous serions différents de lui. Dans la société qui est la nôtre, nous sommes au bénéfice de tout ce qu’il peut nous apporter, et notamment de l’art et de la culture : même si tous les artistes ne sont pas croyants, l’art véritable nous parle de Dieu.

Non, n’avons pas à ignorer le monde, nous n’avons pas à ignorer la société dans laquelle nous vivons, d’autant plus que nous sommes envoyés dans le monde. Il nous faut donc nous efforcer de connaître, de comprendre et d’aimer le monde dans lequel nous vivons, tout en étant conscients que nous sommes animés d’une autre logique, que nous sommes soumis à une loi différente.

Le christianisme est la religion de l’Incarnation et il s’inscrit donc complètement dans la réalité. Il ne s’agit en aucun cas de déserter le monde. Mais dans ce monde, nous sommes invités à rendre visibles l’unité, la joie et la consécration qui caractéristiques de l’Eglise.

Amen.

Bernard Mourou

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