Marc 3, 20-35 – Jésus est-il fou ?

 

Pasteur Bernard Mourou

Quel désordre autour de Jésus ! Pour parler avec les mots d’aujourd’hui, autour de lui c’est le bazar. Le plus court des quatre évangiles est le seul à s’attarder sur cette situation chaotique, les autres l’ont passée sous silence. Mais notre auteur a retenu cet épisode : il considère sans doute qu’il n’y a pas de honte à cela.

Que se passe-t-il ?

Jésus se trouve dans une maison, probablement celle de Pierre. Et là, il est assailli par une foule si avide, si intrusive, si accapareuse, qu’il n’arrive même plus à faire cette chose toute simple qui consiste à prendre un repas.

Cette situation alarme tout le monde, à commencer par sa famille. Sa famille, ce sont sa mère et ses frères. D’autres y verrait le début du succès dont on pourrait se réjouir, mais eux ils ne s’en réjouissent pas : ils le croient en danger.

Pour eux, c’est du délire, il a perdu la tête, il est devenu fou, ou pour le dire avec les mots d’aujourd’hui, il est complètement cinglé. Ils ne peuvent pas le laisser dans cette situation. Il faut intervenir pour mettre fin à tout ce cirque. Et c’est ce qu’ils font. Ils se saisissent de lui.

Nous le voyons, ils sont bien intentionnés : ils veulent le protéger de lui-même et rétablir l’ordre autour de lui. Mais les bonnes intentions sont parfois redoutables : en croyant agir pour son bien, sans le vouloir et sans le savoir, ils jouent le même jeu que ses ennemis.

Ses ennemis, c’est une délégation officielle venue exprès de Jérusalem : des scribes, c’est-à-dire des spécialistes de la religion.

Mais ils sont devenus une sorte de police religieuse et ils sont là pour en découdre. Ils l’accusent d’être possédé. Et possédé non par un simple démon ou par un quelconque esprit malfaisant, ce qui serait déjà très grave, mais par Béelzéboul lui-même, Béelzéboul, le prince des démons, c’est-à-dire le diable, satan. Comme la famille de Jésus, les scribes veulent eux aussi rétablir l’ordre.

A l’époque, les démons étaient les catégories utilisées pour parler des maladies mentales. Aujourd’hui on dit d’une personne dérangée mentalement qu’elle a telle ou telle pathologie psychiatrique, mais à l’époque on ne s’exprimait pas ainsi, non, on disait qu’elle avait tel ou tel démon. Deux manières de rendre compte d’une même réalité.

Dans ces conditions, dire que Jésus est habité par Béelzéboul, le chef des démons, c’est dire qu’il est habité par satan lui-même C’est une accusation très grave. Avec les mots d’aujourd’hui, on dirait qu’il est tellement dérangé qu’il faut l’interner sur-le-champ.

Dans notre société, l’internement psychiatrique est une mesure de protection, une mesure de protection à l’égard du malade et à l’égard de toutes les personnes à qui il pourrait porter atteinte.

Mais Jésus est libre. Il ne se laisse pas enfermer, ni par ceux qui  lui veulent du bien, sa famille, ni par ceux qui lui veulent du mal, les scribes. Alors il réagit.

Il saisit cette occasion pour déclarer que sa vraie famille n’est pas celle du sang, mais celle de l’esprit. C’est une famille spirituelle. Voilà pour sa famille. On peut imaginer que cela a pu jeter un froid.

Et puis c’est au tour de ses accusateurs. A eux aussi il répond, et sa réponse n’est pas la réponse d’un fou. C’est une réponse réfléchie et tout à fait pertinente, une réponse qui s’appuie sur le raisonnement logique.

Voici ce qu’il leur dit : « Vous m’accusez d’être habité par satan parce que je chasse les démons. Alors je vous prends au mot. Vous n’êtes pas sans ignorer que les démons sont envoyés par satan. Donc si vous dites que satan me conduit à chasser les démons, cela signifie que satan se combat lui-même. Or une armée qui, au lieu de combattre l’ennemi, se combat elle-même, a perdu la guerre. Donc si satan se combat lui-même, il a perdu d’avance. » Nous le voyons, la logique de Jésus est implacable.

Reste la question de sa folie : Jésus est-il fou comme tout le monde le pense autour de lui ?

En un sens, on peut répondre par l’affirmative. Oui, il y a une certaine folie chez lui, comme il y a une certaine folie dans l’Evangile. Déjà une quinzaine d’année avant la rédaction de cet évangile, l’apôtre Paul rappelait aux chrétiens de Corinthe que la sagesse des gens de ce monde était une folie pour Dieu.

Finalement, quel est le sens de ce récit ? Pourquoi notre auteur l’a-t-il mis dans son évangile? Qu’a-t-il voulu dire ?

Eh bien il a tenu à nous montrer, dès le début de son évangile, que vivre en chrétien peut paraître fou, mais que finalement ce n’est pas grave, parce qu’être fou aux yeux de ce monde, c’est être sage aux yeux de Dieu.

Quant à nous, aujourd’hui, nous pourrions bien sûr nous conformer à la société dans laquelle nous vivons, nous pourrions vivre comme tout le monde. C’est la manière de vivre la plus simple, mais ce n’est pas la plus passionnante. Seulement voilà, rien ne nous y oblige : comme Jésus nous sommes libres. Alors n’ayons pas peur de passer pour des originaux et comme Jésus, suivons nos désirs les plus profonds, ces désirs qui nous incitent à être pleinement dans la vie.

Amen

 

 

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