Pasteur Bernard Mourou Après avoir guéri l’homme à l’esprit impur dans la synagogue, après avoir guéri la belle-mère de Pierre, voilà maintenant l’Evangile de Marc braque les projecteurs sur une troisième guérison : celle d’un lépreux. Dans le contexte biblique, la lèpre a une signification différente que celle que nous lui donnons aujourd’hui : c’est un ensemble de diverses maladies contagieuses qui affectent la peau. Si elle ne mettait pas la vie en danger, elle entraînait cependant des effets ravageurs. Elle jetait l’opprobre sur la personne, considérée alors comme impure. Le lépreux était exclu de la vie sociale. Il n’avait plus de contact avec autrui, sauf avec ceux qui souffraient du même mal. Il n’avait plus non plus de contact avec Dieu. Pour ne pas contaminer d’autres personnes, le lépreux devait prévenir toutes les personnes qu’il rencontrait sur son passage, en déchirant ses vêtements, en dénouant ses cheveux, en se couvrant le visage, et en criant « Impur ! Impur ! C’est cet exclu qui s’approche de Jésus. Il n’observe pas la Loi : il ne crie pas pour le prévenir qu’il est lépreux. Il le supplie seulement Jésus en tombant à ses genoux. Jésus s’en trouve ému. C’est en tous cas ce que ce que nous lisons dans nos traductions. Jésus serait donc pris de compassion. Mais en sommes-nous si sûr ? Car certains manuscrits anciens présentent une variante complètement différente, selon laquelle Jésus n’est pas pris de compassion, mais irrité. Avoir pitié ou être en colère, ce n’est pas tout à fait la même chose. Que faut-il en penser ? La première version semble plus logique, mais l’exégète doit toujours se méfier des variantes qui paraissent plus évidentes, parce qu’elles ont plus de chances de résulter d’une correction. Un copiste modifie un texte quand il est gênant. Et un Jésus en colère contre un pauvre lépreux, cela peut mettre mal à l’aise. Supposons donc que Jésus ait été en colère dès le début du récit, et voyons ce qui a pu provoquer cette colère. Peut-il avoir été irrité parce que le lépreux lui a dit : Si tu le veux, tu peux me purifie ? Pourtant, plus loin dans ce même Evangile, le père d’un enfant possédé lui dira lui aussi : Si tu peux quelque chose, viens à notre secours, par compassion envers nous ! Et Jésus lui répondra positivement. Peut-il été irrité par le fait que le lépreux a enfreint la Loi ? Peut-être, car après il l’enverra faire constater sa guérison par les prêtres, pour que sa réintégration sociale suive la voie normale. Peut-il s’être révolté contre le mal ? Il semble que non, car s’il avait été irrité seulement contre le mal, il ne se serait pas trompé de cible, il n’aurait pas dirigé son irritation contre cet homme. Or, c’est bien à cet homme que Jésus s’adresse : c’est bien contre lui qu’il s’irrite. Aurait-il voulu rester incognito pour continuer son ministère par la prédication, sans être vu comme un thaumaturge, comme un faiseur de miracles ? Cette dernière piste paraît intéressante, parce que juste avant notre passage, l’Evangéliste nous a montré comment Jésus avait guéri de la fièvre la belle-mère de Pierre avec une grande discrétion. Cela expliquerait pourquoi Jésus dit au lépreux de ne rien dire à personne. Et la suite de cet Evangile confirme cette hypothèse, puisque Jésus réitérera cette interdiction lorsqu’il guérira des malades. Mais ici, c’est la première fois qu’il le fait, et le lépreux, tout à la joie d’avoir été guéri, ne l’écoute pas et se met à proclamer ce qu’il a fait. Jésus refuse le sensationnel parce qu’il est source de malentendus. La priorité, ce n’est pas de faire des miracles, mais de dire une parole. C’est elle qui doit être première, pas le miracle. C’est la parole de Jésus, Je le veux, sois pur, qui produit la guérison. Oui, dans les Evangiles toutes les guérisons ne prennent leur sens que si elles sont accompagnées d’une parole. Mais cet homme n’obéit pas. Il raconte son expérience. n’évangélise pas. C’est trop tôt : la véritable nature du Christ n’a pas encore été dévoilée. Dans ce récit, il est plausible que Jésus ait été irrité contre ce lépreux depuis le début, et certains copistes ont pu être gênés par cette colère contre un homme qui souffre. Cette nouvelle interprétation présente l’avantage de redonner au récit sa cohérence et de l’harmoniser avec le reste de cet Evangile. Cette interprétation souligne que Jésus n’est pas un faiseur de miracles qui chercherait le sensationnel, ce sensationnel qui ne pourrait que nuire à son ministère de la parole. C’est ce sur quoi l’Evangile de Marc insiste avec plus de force que les autres. Pourtant, Jésus touche le lépreux et le guérit. Il le rétabli dans son intégrité physique et dans son intégrité religieuse. En faisant cela, il enfreint la Loi et devient impur à son tour. Il reste loin des lieux habités, dans des endroits déserts. Mais le lépreux, lui, redevient pur. Dans cet Evangile, Jésus ne refuse pas de guérir les gens qui viennent à lui, mais il insiste sur le fait que la guérison est secondaire par rapport à la parole. Amen
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