Pasteur Bernard Mourou Le récit qui nous est proposé ce dimanche prend la forme d’affirmations et de questions qui naissent d’un dialogue entre Jean-Baptiste, Jésus et deux disciples, André, et un autre dont l’identité ne nous est pas révélée. Ce n’est pas vers les disciples que notre attention est dirigée, mais vers Jésus, qui a commencé à parcourir les chemins : le texte mentionne ses allées et venues. Le premier à prendre la parole, c’est Jean-Baptiste : Voici l’agneau de Dieu. Cette affirmation ne s’adresse pas spécifiquement à nos deux disciples, mais il se trouve qu’ils l’entendent, un peu comme par hasard. Par cette affirmation Jean-Baptiste renvoie ceux qui l’écoutent à Jésus. Tout s’organise autour de lui. Comme dans une scène de cinéma, c’est sur lui que sont désormais tournés les projecteurs, et dès lors il va pouvoir assumer pleinement son rôle. Il le fait en renvoyant nos deux disciples à cette question fondamentale, cette question que chacun est amené à se poser au moins une fois dans sa vie – du moins faut-il l’espérer : Que cherchez-vous ? Oui, vous avez bien entendu : Jésus ne pose pas la question Qui cherchez-vous ?, qui serait plus logique et plus attendue, mais bien Que cherchez-vous ? Or nos deux disciples n’ont rien perdu. Il s’agit donc d’une question existentielle, philosophique, pourrait-on dire, que leur pose Jésus, à la manière d’un maître de sagesse. D’ailleurs les deux disciples ne s’y trompent pas : ils s’adressent à lui en l’appelant Maître, Rabbi. Que cherchez-vous ? Si nous avions à répondre aujourd’hui à cette question, que répondrions-nous ? Que cherchons-nous ? Nous sommes encore dans la période des vœux et nous connaissons les souhaits qui reviennent le plus souvent : la santé, la prospérité, le bonheur, la réussite de nos projets. C’est peut-être cela que nous cherchons. Mais ce n’est pas la réponse de nos deux disciples. A cette question ils répondent d’une manière un peu surprenante, inattendue, et finalement très juive, ils répondent par une autre question, comme Jésus le fera d’ailleurs souvent dans les Evangiles : Où demeures-tu ? Devons-nous en conclure que ces premiers disciples ne savent pas ce qu’ils cherchent ? Il y a un peu de cela, sans doute. Ils se trouvent au début de leur quête spirituelle. Jusque-là, ils ont mené une vie banale et sont restés absorbés dans les soucis du quotidien. Mais chez eux une perplexité semble poindre. Inconsciemment ils savent que Jésus a quelque chose à leur dire, à leur apporter. C’est pourquoi ils veulent savoir où il habite, dans quel lieu il vit. S’ils connaissent son adresse, ils pourront se trouver en sa présence chaque fois qu’ils en éprouveront le besoin. Et la réponse de Jésus vient les encourager dans ce sens, tout en préservant entièrement leur liberté : Venez et vous verrez. Alors ils le suivent jusque chez lui : ainsi ils sont sûrs de ne pas se tromper d’endroit. Dans ce court récit prend donc place un dialogue improbable dans lequel chaque intervention ne manque pas de nous surprendre. L’Evangéliste emmène ainsi nos deux disciples, et nous aussi, vers ce point fondamental : la présence de Dieu. Finalement, l’Evangile de Jean fait la même chose que l’Evangile de Matthieu : il nous amène à la question de la présence. Mais alors que Matthieu encadrait son Evangile de deux affirmations fortes : en appelant Jésus Emmanuel, Dieu avec nous, au début, et en faisant dire à Jésus, tout à la fin, dans le dernier verset : Je suis toujours avec vous, celui de Jean, dans son premier chapitre, nous renvoie à cette présence de Dieu par ce dialogue simple, mais pas banal. La suite, nous la connaissons : Jésus ne restera pas dans l’endroit où il est, mais il partira pour la Galilée, et cela dès le lendemain. Si nos deux disciples avaient rêvé de tenir leur nouveau maître de sagesse à leur disposition, c’est raté : pour rester dans sa présence, nos deux disciples vont devoir le suivre partout où il ira. Et c’est ce qui se passera, si bien que le dialogue commencé ici se poursuivra par le témoignage de ces premiers disciples vis-à-vis d’autres personnes elles aussi en recherche, qui pourront à leur tour élargir le cercle. Aujourd’hui, rien n’a changé : quand nous regardons notre histoire, nous constatons que nous sommes venus à la foi par le biais de médiations : d’autres personnes qui nous ont posé des questions existentielles, peut-être nos parents, ou des amis ou bien encore des inconnus, peut-être aussi un livre ou une œuvre d’art qui aura amorcé chez nous une réflexion, peut-être tout cela à la fois, et bien d’autres choses encore, tout ce qui a pu nous faire réfléchir sur les questions essentielles. Et à notre tour, nous pouvons tous être les vecteurs de ce questionnement. Nous avons parfois une fausse conception de ce que nous appelons l’évangélisation : nous ne sommes pas appelés à apporter des réponses à des personnes qui ne s’en posent pas, mais bien plutôt à faire se poser des questions aux personnes qui pensent avoir toutes les réponses. Une réponse, finalement, peut toujours être sujette à contestation, alors que par sa nature même la question nous porte vers le mystère de Dieu. C’est pourquoi le questionnement convient davantage dans tout cheminement spirituel. Que cherchons-nous ? Que cherchez-vous ? Ne passons pas à côté de ces questions : elles nous conduisent immanquablement à Jésus-Christ. Amen
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