Jean 1, 6-8 + 19-28 – Une voix

 

Pasteur Bernard Mourou

L’Evangile de Jean commence par un prologue qui sert d’introduction. C’est un texte qui manie des concepts philosophiques et qui présente Jésus-Christ comme le logos, c’est-à-dire le discours porté à son point de perfection.

Mais au cœur ce texte abstrait, l’auteur a inséré un récit concret. C’est ce simple récit que la liturgie, par un habile redécoupage, nous invite à méditer en ce troisième dimanche de l’Avent.

Aujourd’hui, nous laisserons donc de côté le texte philosophique pour nous pencher sur un récit plus accessible et qui a sa propre cohérence. Il ne parle pas de Jésus, mais de Jean-Baptiste.

Jean-Baptiste a annoncé  Jésus et lui a permis de ne pas venir comme un Messie autoproclamé. Mais Jean-Baptiste, lui, personne ne l’a annoncé. Avant la venue du Messie, les juifs attendent le retour du prophète Elie. Mais personne n’attend Jean-Baptiste…

Et pourtant, quand il se met à baptiser dans le Jourdain, ce sont des foules entières qui affluent. Oui, avant Jésus, Jean-Baptiste a connu le succès, un succès immense. Comme Jésus, il a eu de nombreux disciples, des foules entières venaient à lui. Les Evangiles laissent entendre que par prudence les chefs religieux, à cause de cette grande popularité, évitent de le critiquer devant le peuple. Le livre des Actes nous parle d’une influence qui s’est étendue très loin de son lieu d’origine, jusqu’en Asie mineure.

Et au moment où il rencontre ce succès, cet homme obscur est sur le point de devenir ce qu’on appelle aujourd’hui un « leader » charismatique.

Dans un tel contexte, Jean-Baptiste pourrait faire écran au Messie : ses disciples pourraient le suivre de manière exclusive.

Alors, pour éviter cela, Jean-Baptiste affirme avec force qu’il n’est pas le Christ, ni Elie, ni un nouveau Moïse. Et il lui faut toute l’humilité qui est la sienne, une humilité absolue, radicale, pour éviter de tomber dans ce piège : non, il n’est pas le Messie ; non il n’est pas le prophète Elie ; non, il n’est pas le prophète annoncé. Le succès ne lui est pas monté à la tête.

La vocation du judaïsme a toujours été de détruire les idoles qui détournent l’être humain du vrai Dieu. Si l’on veut construire du neuf, il faut détruire l’ancien, et avant de rendre un culte au vrai Dieu, il faut entreprendre un travail de destruction, il faut détruire les idoles, il faut détruire toutes les fausses images de Dieu.

Là, nous voyons que Jean-Baptiste s’inscrit complètement dans l’héritage du judaïsme : il détruit toutes les idées reçues, à commencer celles qui touchent sa propre personne : l’image que les gens peuvent se faire de lui :

– vous croyez que je suis le Christ, le Messie qui sauvera Israël : eh bien non, je ne le suis pas ;

– vous croyez que je suis Elie revenu pour inaugurer la fin des temps : eh bien non, je ne le suis pas.

– vous croyez que je suis le prophète qui succédera à Moïse : eh bien non, je ne le suis pas, je reste cet homme obscur, sans sophistication et sans apprêt.

Et une fois que Jean-Baptiste a énoncé tout ce qu’il n’est pas et qu’il a détruit toutes les fausses images des gens sur lui, il va pouvoir oser une affirmation positive. C’est une reprise des Ecritures, une citation prise dans le livre d’Esaïe : Je suis la voix qui crie, dans le désert : Aplanissez le chemin du Seigneur.

Cette affirmation est déroutante : la voix nous place d’emblée dans l’immatériel, dans un son qui s’écoute. Et là, nous sommes de nouveau au cœur de la tradition juive, qui met en priorité, avant tout autre commandement, celui d’écouter : c’est le Shema Israël, Ecoute Israël, que les Juifs pratiquants récitent encore chaque jour.

C’est la seule manière que Jean-Baptiste a trouvée pour dire : Attention, ce n’est pas moi que vous devez suivre.

Quand on y réfléchit, l’humilité est incontournable pour celui qui est appelé à être le prédécesseur du Messie. Il ne peut pas en être autrement.

Car la lumière, c’est Jésus-Christ, et le rôle de Jean-Baptiste consiste juste à mettre en évidence cette lumière, à faire converger tous les regards sur elle.

Il doit donc dissuader vigoureusement tous ceux qui le suivent de vouloir le mettre sur un piédestal et s’effacer devant Jésus-Christ.

C’est ce qui se passera. Et ce sera possible parce qu’il sera juste un témoin. Il devait rendre témoignage à la lumière, nous dit le texte. Oui, Jean-Baptiste parle, mais pas pour tenir un discours : il n’a rien à dire, si ce n’est d’attirer notre attention sur celui qui tiendra ce véritable discours, ce discours porté à son point de perfection évoqué dans le prologue.

Le thème du témoignage apparaîtra plusieurs fois dans cet Evangile de Jean, c’est une de ses caractéristiques.  Il l’aborde dans son sens juridique, quand les témoins sont convoqués dans un procès au tribunal. L’Evangéliste veut montrer que le témoignage de Jean-Baptiste a pour but d’établir la vérité, de mettre en lumière les faits, et ainsi de faire toute la lumière sur celui qui est lui-même la lumière.

La foi chrétienne, ce n’est pas de la magie. Il ne s’agit pas de dire Seigneur, Seigneur, mais il faut travailler à ce que le seigneur puisse advenir. En ce temps de l’Avent, la voix de Jean-Baptiste s’adresse aussi à nous. Elle nous prépare à accueillir le mystère de Noël, à faire advenir Jésus dans nos cœurs en lui laissant toute la place par l’attitude d’humilité que Jean-Baptiste nous a donnée en exemple.  Aujourd’hui, nous préparons demain. C’est en nous effaçant, nous aussi, devant Jésus-Christ, qu’il pourra prendre toute la place en nous et que nous pourrons construire notre vie personnelle et celle de notre paroisse sur un fondement stable.

Amen

 

 

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