Matthieu 4, 1-11 – Une obéissance parfaite

                                                                                                                                                                     

Pasteur Bernard Mourou

En ce premier dimanche de Carême, la liturgie nous propose un texte qui met en jeu le personnage du diable.

Pour le réformateur Martin Luther, le diable était une réalité. Au château de la Wartburg en Allemagne, dans l’une des pièces, sur le mur, on peut encore voir des traces d’encre. La légende raconte que le Réformateur, alors qu’il était en train de travailler à sa traduction de la Bible, aurait vu le diable et aurait voulu lui jeter son encrier à la figure.  

Aujourd’hui cette façon de voir la réalité nous rappelle le Moyen Age. Nous avons une autre façon de lire les événements, mais cela ne signifie pas que les passages bibliques qui parlent du diable ne sont plus pertinents. Lorsqu’il s’agit d’évoquer une réalité spirituelle, on bute sur les limites du langage humain. Mettre en scène le diable, cela revient à personnifier le mal.

Les Ecritures parlent peu du diable, mais c’est ce que fait notre passage d’aujourd’hui parle ouvertement du diable : il est l’un des deux protagonistes, l’autre étant Jésus. Et entre les deux, c’est une lutte sans merci qui s’engage.

La scène se passe dans le désert. Jésus, après avoir été baptisé par Jean, est encore directement sous l’influence, se retire pour méditer dans le désert où vivait Jean, de l’autre côté du Jourdain. Jésus y reste quarante jours. Les Israélites avaient erré pendant quarante années dans le désert avant d’entrer dans la terre promise. Le parallélisme est évident. Mais alors que pour les Israélites ont récriminé et adoré le veau d’or. Il en va tout autrement pour Jésus : son obéissance est parfaite du début à la fin.

Déjà, son obéissance est là avant toute chose : c’est en obéissant au Saint-Esprit que Jésus va être tenté dans le désert.

Ces trois tentations sont au nombre de trois, trois, le chiffre de Dieu. Dans ce texte, il y a donc là comme une synthèse de toutes les tentations possibles. Le diable serait-il soumis à Dieu même lorsqu’il peut paraître le plus menaçant ? Voyons comment se manifestent ces trois tentations :

–  première tentation : transformer les pierres en pain, pour échapper à la faim, la faim physique ; il s’agit d’une tentation qui touche le côté matériel des choses ;

–  deuxième tentation : accomplir un acte gratuit, pour frapper les esprits et prouver la divinité de Jésus ;

–  troisième tentation : prendre le pouvoir politique, pour que le monde aille mieux ; il s’agit ici d’une tentation d’un autre ordre ; de nombreuses prophéties parlaient d’un descendant de David qui exercerait une royauté universelle, une gouvernance universelle, en quelque sorte ; Jésus avait évidemment ces textes prophétiques à l’esprit.

Ces trois tentations ont un point commun : elles viennent d’une bonne intention et cherchent la plus grande efficacité.

Le problème, c’est que pour y arriver, elles cherchent à se servir du Dieu d’Israël, à l’instrumentaliser. Cela revient à mettre le Dieu d’Israël au rang des idoles. Le propre des idoles, c’est de se plier aux désirs et aux volontés des hommes.

Jésus n’agira pas ainsi. L’obéissance de Jésus est parfaite du début à la fin. Il n’agira pas ainsi, parce que cela reviendrait à renoncer à sa condition humaine. Parce que la tentation que lui suggère le diable pourrait se formuler ainsi : Si tu es le Fils de Dieu, renonce à ta condition humaine.

Oui, dans l’Ecriture le diable est avant tout l’ennemi de la nature humaine. On se souvient que dans les Ecritures, le diable est un ange, certes un ange déchu, mais un ange tout de même.

Quoi qu’il en soit, ce sont d’autres anges, des anges de Dieu, qui vont servir Jésus une fois qu’il aura réussi à résister aux tentations. Cela nous rappelle la manne qu’ont reçue les Israélites quand ils étaient dans le désert. L’obéissance de Jésus est parfaite du début à la fin.

Cette nature angélique du diable se révèle par le fait que ses tentations ne sont pas en prise avec la réalité.

Car c’est bien nier la réalité que de vouloir changer instantanément les pierres en pains, alors que Jésus est dans ce désert pour jeûner ; c’est nier la réalité que de montrer en même temps tous les royaumes de la terre et de vouloir donner instantanément le pouvoir sur tous ces royaumes ; c’est nier la réalité que de passer instantanément du désert à Jérusalem sur le faîte du Temple et de vouloir rendre possible cet acte gratuit qui consisterait à se jeter dans le vide. Tout cela relève de la pensée magique et non de la foi. La foi ne nie pas la réalité, elle en tient compte.

Mais l’obéissance de Jésus est parfaite du début à la fin. De chaque tentation, il sort victorieux. Comment fait-il ? Eh bien il se contente de citer les Ecritures, plus particulièrement le livre du Deutéronome, plus précisément une courte portion du livre qui couvre les chapitres 6 à 8.

Même si c’est le diable qui est à l’initiative de cette joute, c’est Jésus qui mène le jeu : à la troisième tentation, le diable finit par imiter Jésus en citant comme lui les Ecritures, seulement, il les cite hors de leur contexte et de manière littérale, ce qui montre bien qu’il ne suffit pas de citer les Ecritures, encore faut-il le faire avec cette instance extérieure du Saint-Esprit qui nous libère de notre subjectivité.

Ce texte nous montre que la tentation ne consiste pas à transgresser une règle morale, mais à utiliser la puissance divine à son propre compte, pour son propre profit. Et si ces trois tentations semblent envisager une stratégie du mal, pour le coup c’est une stratégie qui manque sérieusement de constance et de cohérence, c’est une stratégie qui change tout le temps, une stratégie qui manque d’unité. C’est là son point faible. Le diable se montre brouillon et désordonné face à un adversaire qui garde une grande cohérence. Et cette cohérence, elle lui est donnée par les Ecritures, ce sont les Ecritures qui permettent à Jésus de garder le cap. L’obéissance de Jésus est parfaite du début à la fin.

Alors, ne nous trompons pas de combat. Le véritable combat consiste à renoncer à instrumentaliser Dieu, même si nos objectifs sont louables. Nous gagnerons ce combat en gardant le cap, en maintenant notre unité intérieure grâce à une bonne compréhension des Ecritures.

Amen

 

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