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Pasteur Bernard Mourou Si votre justice ne surpasse pas celle des scribes et des pharisiens… Surpasser les scribes et les pharisiens, est-ce que ce serait donc possible ? Les pharisiens s’étaient donné comme but d’être les meilleurs des juifs, par un respect de la Loi et le plus strict et le plus rigoureux possible. Ils étaient les plus pieux, les plus fervents. Sur ce plan, personne ne pouvait rivaliser avec eux, personne n’était plus zélé qu’eux dans l’observance minutieuse des commandement. Alors, Jésus pense-t-il qu’il est possible d’aller encore plus loin qu’eux ?… Jésus se place au-dessus de Moïse. Il martèle avec autorité : Vous avez appris qu’il a été dit aux anciens… eh bien moi je vous dis… La Loi de Moïse condamnait le meurtre, Jésus condamne la seule colère ; la Loi de moïse condamnait l’adultère, Jésus condamne le seul désir. Puis comme si cela ne suffisait pas, il continue en évoquant la possibilité de s’arracher un œil ou de se couper une main… En fait, il était courant dans la culture juive d’employer des hyperboles, c’est-à-dire de parler en exagérant les choses. L’Evangile de Matthieu est l’Evangile le plus marqué par la culture juive, il emploie donc souvent ce procédé littéraire de l’hyperbole. S’arracher un œil ou se couper une main relève ici de l’exagération propre à l’hyperbole. C’est juste une manière de donner plus de force à ce que l’on affirme. Quoiqu’il en soit, si ce texte est une invitation à appliquer la Loi juive et si Jésus est supérieur à Moïse, alors il doit forcément être plus exigent que lui. Dans ce cas on remplace juste le mot Loi par le mot Amour et le tour est joué : l’Amour devient juste une nouvelle Loi, une Loi encore plus implacable que la précédente. Mais non : Jésus ne joue pas au pharisien. Il change de logique. Jésus ne propose pas une Loi d’amour plus exigeante que la Loi de Moïse. Si c’était le cas, où serait la libération que le message évangélique est censé apporter ? Revenons à notre texte : Jésus ne dit pas Si vous surpassez les scribes et les pharisiens, mais Si votre justice ne surpasse pas celles des scribes et des pharisiens. Il est question ici de la justice, c’est-à-dire, dans le contexte du judaïsme, de la reconnaissance que Dieu accorde à la foi d’un fidèle. Quelques années avant que Jésus commence son ministère, il y a eu dans le judaïsme une célèbre controverse entre deux rabbins. L’un s’appelait Hillel, l’autre Shammaï. Hillel était favorable à une observance souple et accommodante de la Loi. C’était une manière de permettre au plus grand nombre de la suivre. C’est ce que faisait Jean-Baptiste quand les gens lui demandaient comment ils devaient vivre. Quant à Shammaï, il était plus intransigeant : il prônait une observance stricte et rigoureuse de la Loi. Mais Jésus n’entre pas dans un tel débat. Il récuse autant une observance accommodante de la Loi, qu’une observance scrupuleuse et tatillonne. Hillel et Shammaï sont renvoyés dos à dos. Jésus change de logique. Pour contrer l’argument d’un adversaire, un bon moyen est d’entrer dans sa logique et d’aller jusqu’au bout de son raisonnement. C’est ce que fait Jésus ici : il va jusqu’au bout de la logique pharisienne et se lance, non pas dans une critique de la Loi, mais dans un discours qui vise à la radicaliser. En fait, en procédant ainsi Jésus nous fait comprendre que même les scribes et les pharisiens n’observent pas assez fidèlement la Loi, parce que de toute façon elle n’est à la portée de personne. La seule manière de rendre évidente cette incapacité de l’être humain à observer la Loi, c’était de la radicaliser. Et alors, une fois qu’il est bien clair pour tout le monde que personne n’est en mesure d’observer les prescriptions de la Loi quand elles sont poussées à l’extrême, Jésus est en mesure de nous faire entrer dans une autre logique. Il ne nous propose, à la manière des pharisiens, un commentaire supplémentaire de cette Loi, mais il nous fait entrevoir quelque chose de vraiment nouveau : cette Loi, il va l’accomplir lui-même à la perfection. Au 23e chapitre de cet Evangile, Jésus soulignera l’esprit qui anime la Loi de Moïse et il nous montrera que les pharisiens ne la comprennent pas, par cette invective qu’il dirigera contre eux : Malheureux êtes-vous, scribes et pharisiens hypocrites, parce que vous payez la dîme sur la menthe, le fenouil et le cumin, mais vous avez négligé ce qui est la plus important dans la Loi : la justice, la miséricorde et la fidélité[. Finalement, Jésus fait ressortir que les pharisiens ne sont que de mauvais théologiens qui prennent le détail pour le tout, incapables de discerner ce qui est vraiment important dans la Loi, incapables d’en saisir l’essence. Par conséquent ils sont inaptes à l’enseigner, eux qui s’en considèrent les spécialistes. Leur manque de clarté intellectuelle ne peut apporter à ceux qui les écoutent que la confusion. C’est pourquoi Jésus, dans le même passage, les traitera de guides aveugles. Ils sont disqualifiés. Jésus change de logique. Il récuse donc aussi bien une observance accommodante de la Loi, qu’une observance scrupuleuse. La vocation du peuple juif, c’est de toujours combattre les idoles. Rien ne doit être absolutisé sauf Dieu. Même la Loi de Moïse ne doit pas être absolutisée. Pour cela, il faut la dépasser. C’est ce que fait ici Jésus. En tant que chrétiens, nous observons cette Loi de manière parfaite seulement parce que Jésus-Christ l’a observée à notre place. Avec cette nouvelle logique, Jésus a ce tour de génie de se montrer à la fois conservateur – il garde la Loi de Moïse dans son intégralité, sans l’adoucir en rien –, et en même temps révolutionnaire – il change complètement le rapport que nous pouvons avoir à elle. C’est dans cette tension permanente que la Loi de Moïse sera pour le croyant gage de vie et de bonheur. Amen
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