par le Pasteur Bernard Mourou
Selon un récent sondage, 7 % des Français croient en la réincarnation. C’est relativement beaucoup, dans la mesure où la croyance en la réincarnation n’a pas de fondement dans notre culture, contrairement par exemple aux pays d’Asie. En comparaison, 13 % des Français croient en la résurrection. C’est à peine le double. 13 %, c’est un taux particulièrement faible pour un pays de tradition chrétienne.
Pourtant, la foi en la résurrection constitue un fondement incontournable de la foi chrétienne. L’apôtre Paul en soulignera l’importance quand il dira : Si les morts ne ressuscitent pas, le Christ non plus n’est pas ressuscité. Et si le Christ n’est pas ressuscité, votre foi est sans valeur, vous êtes encore sous l’emprise de vos péchés. Dans la Bible, c’est l’affirmation la plus éclatante l’importance de la résurrection dans la foi chrétienne.
Cette idée d’une résurrection a une histoire, elle ne vient pas de nulle part. Avant l’avènement du christianisme, elle était déjà présente dans le judaïsme, même si elle n’y est apparue que tardivement, vers 170-160 avant Jésus-Christ, dans une période difficile où il était devenu évident que les justes n’étaient pas rétribués pour leur bonne conduite dans cette vie.
Deux siècles plus tard, la question de la résurrection fait encore débat. Dans notre texte, elle suscite une controverse entre les sadducéens et Jésus.
Dans les Evangiles, on parle surtout des pharisiens et moins des sadducéens, mais ils constituaient eux aussi un courant religieux du judaïsme. Les sadducéens étaient une caste de prêtres. Leur nom renvoie aux fils de Saddoq, une lignée de prêtres fidèles dont il est question dans le livre d’Ezéchiel.
Contrairement aux pharisiens, les sadducéens n’attachaient aucune valeur aux Ecrits et aux Prophètes, ils ne comptaient comme livres inspirés que la Loi de Moïse, c’est-à-dire la Torah, notre Pentateuque, les cinq premiers livres de la Bible. Et comme l’idée de résurrection n’apparaît que dans ces textes plus tardifs, eh bien ils ne croyaient pas à la résurrection.
Il est intéressant de voir ce qu’en dit l’historien juif Flavius Josèphe, qui a vécu au Ier siècle et a donc connu le monde des Evangiles. Voici ce qu’il écrit : La doctrine des Sadducéens fait mourir les âmes en même temps que les corps, et leur souci consiste à n’observer rien d’autre que les lois. […] Leur doctrine n’est adoptée que par un petit nombre, mais qui sont les premiers en dignité. Ils n’ont pour ainsi dire aucune action ; car lorsqu’ils arrivent aux magistratures, contre leur gré et par nécessité, ils se conforment aux propositions des Pharisiens parce qu’autrement le peuple ne les supporterait pas.
Les sadducéens et les pharisiens ne s’estimaient pas. Après que des pharisiens ont questionné Jésus sur la question de l’impôt dû à Rome, les sadducéens, à leur tour, questionnent Jésus. Ces sadducéens savent que Jésus, comme les pharisiens, croit à la résurrection, alors ils lui soumettent un cas d’école, à l’instar des traités rabbiniques qui discutent à l’infini sur ce genre de question. Ils espèrent sans le dire que Jésus leur donnera raison contre les pharisiens.
Voici le cas d’école que les sadducéens soumettent à Jésus. Dans la Torah, la loi du lévirat, tombée en désuétude à l’époque de Jésus, demandait à un homme d’épouser sa belle-sœur au cas où elle deviendrait veuve sans avoir eu d’enfants, afin de la protéger et d’assurer une postérité au défunt.
D’une manière qui touche au ridicule, les sadducéens grossissent le trait et ils mettent en scène sept femmes, alors qu’une seule aurait suffi à leur démonstration.
Au passage, l’exemple qu’ils choisissent traduit leur misogynie, puis qu’ils auraient pu prendre le cas d’une femme avec sept hommes, ce qui était une situation beaucoup plus fréquente, dans la mesure où les hommes pouvaient facilement répudier leur femme. Mais les sadducéens choisissent le cas qui, selon leur conception de la vie, sera le plus choquant.
La résurrection est un concept difficile et les sadducéens de notre texte en ont une conception matérialiste. Jésus cherche à souligner le malentendu. Pour cela, il développe son argumentation en deux temps.
Jésus leur répond d’abord, dans un premier temps, en faisant ressortir le fait qu’il y a une différence radicale entre la vie terrestre et la vie nouvelle.
C’est ce que dira l’apôtre Paul aux Corinthiens : La chair et le sang sont incapables de recevoir en héritage le royaume de Dieu, et ce qui est périssable ne reçoit pas en héritage ce qui est impérissable. Ce que veut dire Paul ici, c’est que nous ne pouvons pas imaginer la vie éternelle comme la suite, sur le même mode, de la vie terrestre.
Si ceux qui ressuscitent ne connaissent plus la mort, cela veut dire que la procréation disparaît. Pour évoquer cet état des ressuscités, Jésus les compare aux anges, qui ne procréaient pas parce qu’ils ne mouraient pas. Notons au passage que Jésus se montre une fois de plus provocateur, parce que les sadducéens ne croyaient pas plus aux anges qu’à la résurrection.
Puis, dans un second temps, Jésus développe l’idée de fidélité, qui est déjà présente dans la Torah. L’argument de Jésus consiste à montrer que la résurrection n’est pas une idée nouvelle et que de ce fait elle n’est pas contestable. L’Evangéliste montre que le lien entre Dieu et les patriarches Abraham, Isaac et Jacob ne saurait cesser, puisque Dieu en parle au présent des siècles après leur mort. Dieu ne consentirait pas à être appelé le Dieu d’un tas d’ossements.
La mort ne peut rien contre cette fidélité de Dieu. Donc si la fidélité est plus forte que la mort, c’est que la mort n’a pas le dernier mot. En cela, Jésus n’invente rien, il reprend simplement un écrit juif, un passage du 4e livre des Maccabées que les chrétiens orthodoxes lisent encore aujourd’hui, et qui dit : Ceux qui meurent pour Dieu vivent avec lui, comme Abraham, Isaac et Jacob et tous les patriarches.
Les pharisiens, qui eux croient à la résurrection et sont ennemis des sadducéens, sont bien sûr satisfait de cette réponse, ils y voient de la part de Jésus, du moins pour le moment, une prise de position en leur faveur : Maître, tu as bien parlé.
Cette controverse entre Jésus et les sadducéens nous rappelle que la foi en la résurrection ne prend pas son fondement dans une doctrine spéculative sur l’immortalité de l’âme, mais sur l’amour éternel de Dieu.
Amen