Il n’est pas fréquent d’aborder la question de la sagesse dans une prédication. La sagesse, il me semble qu’on ne la prend en considération dans deux cas seulement : soit au début de la vie, quand on dit à son enfant : « Sois sage ! » pour qu’il se tienne tranquille, soit à la fin de la vie, et on parle alors des « vieux sages », pour ces personnes qui bénéficient d’une longue expérience de vie.
Entre ces deux âges de la vie, il faut bien reconnaître qu’on ne prend pas beaucoup la sagesse. C’est comme si tous ceux qui ne sont ni très jeunes, ni très vieux, tous ceux qui en fait sont dans ce qu’on appelle la vie active n’étaient pas concernées par la sagesse. Faudrait-il choisir entre les tâches familiales et professionnelles d’une part, et la réflexion et la méditation d’autre part ?
Y aurait-il un âge de la vie où la sagesse devrait être mise entre parenthèses et où il serait normal d’avoir, comme on dit, « le nez dans le guidon » ? Mais comment penser qu’une action peut être bonne si elle ne s’appuie pas sur la réflexion et la méditation ?
Cette idée est complètement étrangère à la mentalité biblique. Dans la Bible, elle est souvent présente dans l’Ancien Testament, et tout particulièrement dans le livre des Proverbes, qui nous occupe aujourd’hui. Elle n’est pas une option, mais elle tient une place importante et surtout elle concerne tous les âges de la vie.
Dans le passage que nous avons lu, la sagesse a même une place à part puisqu’elle est personnifiée et prend la parole en disant « je ».
Bien plus : l’auteur biblique nous la présente comme précédant toutes choses, comme venant même avant la création de l’univers : Le Seigneur m’a faite pour lui, principe de son action, première de ses œuvres, depuis toujours. Avant les siècles j’ai été formée, dès le commencement, avant l’apparition de la terre.
C’est comme si la sagesse avait été une condition indispensable à la Création, comme si la Création n’aurait pas pu se faire sans elle, comme si la Création ne pouvait être réussie que dans la mesure où elle était déjà là. Et cela nous renvoie bien sûr à ce qui revient comme un refrain dans le premier récit de la Création : Dieu vit que cela était bon.
Il est aussi question de la sagesse dans des livres qui ne figurent pas dans l’Ancien Testament hébraïque de nos Bibles protestantes, ces livres que nous appelons la littérature intertestamentaire et qui figure aujourd’hui dans la TOB et dans d’autres versions récentes de la Bible. Ce sont des livres qui se situent chronologiquement entre l’Ancien et le Nouveau Testament, et ils figuraient dans la traduction grecque de l’Ancien Testament, la version des Septante, celle que lisaient les premiers chrétiens et qui est le plus souvent citée par les auteurs du Nouveau Testament.
Par exemple, parmi ces écrits intertestamentaires, le livre du Siracide rappelle cette idée que la Sagesse a été créée avant toutes choses : Avant toute chose fut créée la sagesse, et depuis toujours, la profondeur de l’intelligence[1]. Dans ce livre la sagesse parle aussi à la première personne et elle dit : Dès le commencement, avant les siècles, le Seigneur m’a créée, et pour les siècles je subsisterai[2]. Nous voyons que c’est exactement la même idée que celle qui est développée ici dans le livre des Proverbes.
Plus tard, dans le même ordre d’idées, l’apôtre Paul donnera à la sagesse une origine divine, en disant aux Corinthiens que le Christ est devenu sagesse venant de Dieu[3].
Par la suite, au IVe siècle, un Père de l’Eglise bien connu des protestants, saint Augustin, développera cette idée que la sagesse n’appartient pas à la Création, dans la mesure où, comme Dieu lui-même, elle se situe hors du temps, je le cite : la Sagesse, par qui deviennent toutes choses, et passées et futures, elle-même ne devient pas, car elle est comme elle a toujours été et comme elle sera toujours. Bien plus, il n’y a en elle ni passé ni futur : elle est seulement, puisqu’elle est éternelle[4].
Cette idée que la sagesse existe de toute éternité n’est pas anecdotique et ne relève pas d’une coquetterie littéraire. Non, il y a derrière cette affirmation une intention théologique importante.
Et là encore, c’est saint Augustin qui nous aide à le comprendre cela, je le cite de nouveau : De même qu’on ne peut se donner l’existence, de même on ne peut tirer la sagesse de son propre fond – c’est-à-dire de soi-même – Il faut, pour l’acquérir, être éclairer par celui dont il a été écrit : « Toute sagesse vient de Dieu ».
Cette sagesse dont il est question dans le livre des Proverbes n’est donc pas une sagesse humaine. Même si elle est profondément humaniste, elle ne prend pas sa source dans l’être humain : c’est une sagesse divine, et c’est en cela qu’elle peut déconcerter et surprendre ceux qui nous voient vivre.
Oui, la sagesse divine est déconcertante et, dans une certaine mesure, elle s’oppose à la sagesse humaine.
L’apôtre Paul insistera beaucoup sur cette opposition entre ces deux conceptions de la sagesse. Voici ce qu’il dit : La sagesse du monde, Dieu ne l’a-t-il pas rendue folle ? Puisque, en effet, par une disposition de la sagesse de Dieu, le monde, avec toute sa sagesse, n’a pas su reconnaître Dieu, il a plu à Dieu de sauver les croyants par cette folie qu’est la proclamation de l’Evangile. Alors que les Juifs réclament des signes miraculeux, et que les Grecs recherchent une sagesse, nous, nous proclamons un Messie crucifié, scandale pour les Juifs, folie pour les nations païennes. Mais pour ceux que Dieu appelle, qu’ils soient Juifs ou Grecs, ce Messie, ce Christ, est puissance de Dieu et sagesse de Dieu.
Oui, la sagesse de ce monde est folie devant Dieu, et la sagesse de Dieu est folie aux yeux du monde. La contradiction est sans appel.
En cette journée de printemps qui rassemble notre paroisse dans ce lieu magnifique, gardons à l’esprit que la sagesse personnifiée est à l’origine de tout ce que nous voyons, que la beauté de la nature repose sur elle, et que de la même manière, elle rendra nos vies belles si nous la recherchons.
Amen.
Bernard Mourou