Le texte prévu par la liturgie ce dimanche de Pentecôte se place dans le long discours que Jésus délivre à ses disciples avant sa Passion. C’est une sorte de testament spirituel qui est donné aux disciples. Il concentre tout ce qu’il y a de plus essentiel pour que les disciples puissent envisager sereinement l’avenir sans la présence physique de Jésus.
Oui, maintenant le temps est venu pour Jésus d’annoncer à ses disciples de quoi sera fait le temps à venir, de leur annoncer cette promesse qui constitue la véritable nouveauté de la nouvelle Alliance : la promesse que le Saint-Esprit va leur être donné, le Saint-Esprit que nous fêtons aujourd’hui en ce dimanche de Pentecôte.
Grâce au Saint-Esprit, la mort de Jésus qui se précise ne signifiera pas la fin de l’aventure pour ses disciples. Le Saint-Esprit leur garantira que ce qu’ils ont vécu jusque-là avec leur Maître continuera, sous une autre forme. Le Saint-Esprit va transformer l’échec que représente la mort de Jésus sur la croix en un véritable accomplissement.
Car pour les disciples, la mort prochaine de Jésus ne sera pas une perte, mais bien un gain. Le Saint-Esprit va leur rendre Jésus présent par-delà le temps et l’espace. Il va leur permettre d’être dans la présence divine non plus de manière ponctuelle, par une proximité physique avec lui, mais de manière permanente, même après qu’il aura quitté cette terre.
Ici dans notre passage, le Saint-Esprit est appelé le Défenseur. Les versions plus littérales ont renoncé à traduire le terme grec paraclêtos et ont appelé le Saint-Esprit Paraclet, ce qui n’aide pas beaucoup le lecteur. Curieusement, ce terme grec employé par l’Evangéliste n’appartient pas au domaine religieux, mais au domaine juridique. Dans un procès au tribunal il désigne l’avocat.
Pour être en mesure de défendre son client de la manière la plus efficace possible, un bon avocat adopte une identité de vues avec lui. Le Paraclet, c’est ce Défenseur parfait qui nous connaît mieux que nous nous connaissons nous-mêmes.
Dans les récits d’apparition du Ressuscité qui sont lus durant le temps de Pâques, les disciples ne reconnaissent pas tout de suite Jésus : ils n’ont plus un accès immédiat à Jésus. C’est le point commun de tous ces récits.
Si cet accès n’est plus immédiat, c’est donc que à nos sens sont disqualifiés. Et ce qui va prendre le relais de nos sens, le texte nous le dit, c’est… notre mémoire : Le Saint-Esprit vous fera souvenir de tout ce que je vous ai ditAvant l’ère de la photo numérique, certains amateurs développaient leurs photos eux-mêmes. C’était mon cas. Sous une faible lumière rouge, on plongeait la pellicule dans un bain révélateur qui au bout d’un temps faisait apparaître l’image.
Eh bien, nous les croyants, nous sommes comme le négatif d’une pellicule: nous avons tous en nous des choses dont nous n’avons pas connaissance et qui ne demandent qu’à être révéler en venant à notre conscience. Et le Saint-Esprit est comme le bain révélateur du photographe : il nous enveloppe et nous fait découvrir ce qui est déjà en nous.
Si vous appuyez sur le bouton de l’appareil photo mais qu’il n’y a pas de pellicule à l’intérieur, vous n’aurez aucune photo. Il en va de même pour le Saint-Esprit : il ne travaille pas à partir de rien, il n’agit pas par magie n’agit pas par magie, mais il se sert de tout ce que nous avons vécu. Si vous ne mettez pas la pellicule dans le bain révélateur, vous ne verrez jamais de photo. De la même manière, si notre mémoire est vide, il ne faut pas attendre de révélation.
Le Saint-Esprit travaille à partir de notre mémoire. C’est par elle qu’il nous parle. Comme le bain révélateur du photographe, il donne un relief particulier à tel ou tel événement que nous avons vécu, à tel ou tel texte que nous avons lu, à telle ou telle parole qui nous a été dite.
Le Saint-Esprit ne nous apporte aucune connaissance spéciale : il discerne seulement la Parole de Dieu qui est contenue dans l’Ecriture, un peu comme ces dessins qui sont utilisés pour les tests oculaires et qui nous permettent de savoir si nous discernons bien les couleurs : après un certain temps, nous voyons se détacher, comme en relief, des formes et des figures. De la même manière, le Saint-Esprit ne nous révèle rien de ce qui ne serait pas déjà en nous : il rend juste les choses plus claires.
C’est le sens de la prière liturgique que nous faisons avant la lecture des textes bibliques et la prédication. Cette prière, que nous appelons la prière d’illumination, dans laquelle le prédicateur demande que le Saint-Esprit l’éclaire lui-même ainsi que l’assemblée qui est présente.
Le Saint-Esprit nous fait ressouvenir de ce qui est essentiel. Cela signifie qu’il ne nous dispense pas du travail intellectuel. Tout ce qu’il fait, c’est mettre de l’ordre et de la clarté dans notre entendement. Dans ce sens, le philosophe Paul Ricœur disait qu’apprendre, c’était reconnaître.
Si le Saint-Esprit nous fait ressouvenir de ce qui vient de Dieu, il n’a donc rien à voir avec la spontanéité. Au contraire : en se servant de notre mémoire, il travaille avec le temps, il a plutôt à voir avec avec la maturation.
En faisant appel à notre mémoire, le Saint-Esprit donne un nouveau relief aux textes des Ecritures et empêche qu’ils restent pour nous lettre morte. Ces mots anciens, il les transforme en une parole de Dieu pour nous, en une parole de vie pour nos existences.
Revenons maintenant à ce terme de Défenseur dont l’origine juridique a éveillé notre curiosité. Ce qui caractérise le domaine juridique, c’est la loi. Le propre de la loi, c’est de juger chacun de manière juste, c’est-à-dire en toute objectivité, indépendamment de nos affects et de notre subjectivité – en tous cas on peut le souhaiter ! C’est ce jugement véritablement objectif que Job espérait dans ses épreuves, lorsqu’il disait : Je sais, moi, que mon défenseur est vivant, et que, le dernier, il se lèvera sur la poussière. Oui, Job attendait déjà ce Défenseur.
En attribuant au Saint-Esprit un nom qui appartient au domaine juridique, l’Evangéliste en souligne l’altérité radicale et par là il lui donne clairement le statut de Dieu.
Aujourd’hui, en ce dimanche de Pentecôte, nous pouvons nous réjouir de ce que le Saint-Esprit, qui a pris la suite de Jésus, nous a été donné. Ce Défenseur parfait nous connaît parfaitement et en toute objectivité. Il nous permet de rester continuellement dans la présence de Dieu. Il nous donne une acuité intellectuelle qui nous fait accéder à une meilleure compréhension des choses spirituelles.
Amen.
Bernard Mourou