Luc 19, 28-40 – La joie d’une fête

En ce dimanche des Rameaux, nous avons un double sujet de réjouissance : d’abord la fête des Rameaux elle-même, qui est par excellence la fête de la joie, et puis nous avons un second sujet de réjouissance : le baptême de Lionel.

Cet épisode des Rameaux est un récit plein de poésie et de fraîcheur. La liturgie l’associe avec bonheur au printemps et au renouveau, parce que la lecture de ce récit d’Evangile nous est toujours proposée à cette période de l’année, une semaine avant Pâques, au moment où les premiers bourgeons et les premières fleurs donnent à la nature un air de fête.

Dans ce passage nous accompagnons Jésus alors qu’il est en train de monter vers Jérusalem, la ville où doit être sacré roi le successeur de David. Ce moment de l’histoire concentre toute les attentes du peuple, qui entrevoit la possibilité d’un avenir meilleur grâce à une sorte de libération nationale.

C’est pour cela que l’Evangéliste insiste sur le fait que tout se passe de manière providentielle : l’âne demandé par Jésus est bien à l’endroit indiqué, ses propriétaires ne font aucune difficulté pour le laisser partir avec les deux disciples qui sont venus le chercher.

Aujourd’hui ce détail risque d’être mal compris, dans la mesure où une personne qui monte un âne donne plutôt une impression d’humilité, qui n’est d’ailleurs pas en contradiction avec le caractère de Jésus. Mais dans le contexte biblique, l’âne est avant tout la monture des rois qui viennent avec des intentions pacifiques. Dans le livre du prophète Zacharie, il porte celui qui annoncera la paix messianique : Exulte de toutes tes forces, fille de Sion ! Pousse des cris de joie, fille de Jérusalem ! Voici ton roi qui vient à toi : il est juste et victorieux, pauvre et monté sur un âne, un ânon, le petit d’une ânesse.

La mention de l’âne n’est pas un détail : cette monture est destinée à donner à l’entrée de Jésus dans Jérusalem un caractère royal et à replacer cet événement dans l’annonce prophétique.

Quelques instants plus tard, la foule en liesse réserve à Jésus un accueil de roi. Les gens étendent devant lui leurs vêtements chatoyants. Ce geste contribue à donner à cette montée vers Jérusalem sa dimension royale : c’était la coutume de jeter ses vêtements devant un futur roi, juste avant son sacre. Ce geste a la même signification que le tapis rouge que l’on déroule aujourd’hui devant les gens importants. C’est dans une suite d’acclamations que se fait l’accueil de Jésus. On appelle cette fête la fête des Rameaux parce que les autres Evangiles disent que la foule, en plus des vêtements, a disposé des branchages devant Jésus, là aussi comme une marque d’honneur.

Bien sûr, nous le savons, la fête a été de courte durée et ces acclamations de la foule ne sont pas le dernier mot des Evangiles. La remarque désobligeante des pharisiens, qui demandent à Jésus de réprimer la joie de la foule qui l’acclame, est là pour nous le rappeler.

Mais pourtant, à ce moment-là de l’histoire, c’est bien la joie qui marque l’arrivée de Jésus à Jérusalem. A ce moment de l’histoire, la foule qui acclame Jésus le long du chemin a la seule attitude qui convient : elle lui rend l’honneur qui lui est dû, et Jésus accepte cet honneur sans réserve.

Il arrive au terme de trois années de ministère, trois années pendant lesquelles il a enseigné les foules et guéri les malades. Pour la foule qui est réunie sur son chemin vers Jérusalem, il ne fait aucun doute qu’il est le Messie annoncé par les prophètes, celui qui va enfin établir une paix politique durable dans le pays. Personne n’en doute et la foule crie : Béni soit celui qui vient, le Roi, au nom du Seigneur. Paix dans le ciel et gloire au plus haut des cieux !

Nous avons eu tendance à penser que ceux qui acclament Jésus ne sont pas sincères, parce que nous savons qu’ils changeront d’attitude quelques jours plus tard, si tant est que ce seront les mêmes personnes. Pourtant, quand nous lisons attentivement, nous ne pouvons mettre en doute leur sincérité et le fait que leur enthousiasme n’est pas simulé. Il est évident que leur accueil vient vraiment du cœur.

Et même si c’étaient les mêmes personnes qui dans un revirement d’attitude avaient condamné Jésus à Jérusalem quelques jours plus tard, cela ne prouverait qu’une chose : cela prouverait l’inconstance humaine.

Parmi eux, plusieurs deviendront sans doute des disciples. Après les jours de ténèbres qui suivront cette fête, certains pourront faire preuve d’une vraie fidélité à ce qu’ils auront vu dans cette lumière printanière des Rameaux.

La fête n’a pas duré. Mais dans notre réalité terrestre, nous savons que, de toutes façons, aucune fête ne peut durer. Une fête n’est telle que dans la mesure où elle se distingue de ce qui fait la réalité quotidienne. Une fête qui ne s’arrêterait jamais ne produirait que de l’ennui. Ici, la fête est tout ce qu’elle peut prétendre être dans notre monde : une parenthèse heureuse. Elle ne fait qu’annoncer la fête par excellence, la fête en tant que réalité céleste, qui elle ne sera plus l’objet d’aucune interruption parce qu’elle sera hors du temps.

Mais de toutes façons, peu importe : tous ces gens qui acclament Jésus, à cet instant, ne montrent qu’une chose : ils montrent une immense attente, une immense espérance, qui débouche sur une joie profonde, et c’est là l’essentiel.

Car aucun récit d’Evangile ne parle autant de la joie, et c’est cela que la fête des Rameaux a voulu saisir. Depuis des siècles, la liturgie de l’Eglise rappelle, par cette fête des Rameaux, la joie que procure l’espérance, l’espérance qui est au fondement de notre foi chrétienne.

Nous pouvons dresser un parallèle avec le baptême. Le baptême n’est pas un aboutissement, mais un commencement. Il ouvre sur cette espérance, source de joie. Nous pouvons nous laisser aller à une joie sans réserves, une joie annonciatrice de ce qui sera la réalité ultime.

Cette joie ne dépend pas de nos humeurs ou des circonstances, parce qu’elle se fonde en Dieu lui-même. Le Saint-Esprit nous a été donné, c’est pourquoi notre acclamation n’a pas le caractère fugitif de ce récit d’Evangile.

C’est avec cette espérance que je souhaite à Lionel, à sa famille et à ses amis de vivre cette journée dans la même plénitude que la foule qui a accueilli Jésus le long de son chemin vers Jérusalem. Et je souhaite aussi que Lionel puisse rester dans la joie des disciples, une joie qui n’est plus dépendante des temps et des moments, mais du Saint-Esprit.

Amen.

Bernard Mourou

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