C’est aujourd’hui le premier dimanche de l’Avent, c’est-à-dire le premier dimanche de notre année liturgique. Et l’Eglise a choisi d’ouvrir cette nouvelle année par un texte apocalyptique.
Ce texte ne va pas de soi, il n’est pas sans provoquer chez nous une certaine surprise, voire un certain malaise :
Une première surprise vient du fait que les textes apocalyptiques ont pour vocation de parler de la fin et non du commencement : pourquoi un texte évoquant la fin du monde a-t-il été choisi pour commencer notre année ?
La seconde surprise tient à notre contexte troublé après les attentats de Paris : un texte qui aborde la question des derniers événements provoque forcément un écho chez nous, dans la mesure où les fanatiques qui sèment la terreur dans notre pays et ailleurs dans le monde disent agir ainsi parce qu’ils prévoient eux aussi que la fin du monde est pour bientôt.
Et de la terreur, il en est justement question dans notre passage, comme c’était le cas avec le texte de l’Evangile qui é été lu il y a deux semaines.
Nous avons ici affaire à un texte apocalyptique, tel qu’il en circulait dans la littérature juive de l’époque.
Le genre apocalyptique était courant dans les difficultés que traversaient les juifs au premier siècle : ils soupiraient après un monde nouveau dans lequel leur pays échapperait à la domination romaine, à laquelle ils attribuaient tous leurs malheurs. Nous trouvons quelques exemples de ces écrits apocalyptiques dans le livre de Daniel, mais aussi dans la littérature intertestamentaire, comme dans le 4e livre d’Esdras, le 2e livre de Baruch ou le livre d’Hénoch – ces livres bibliques figurent aujourd’hui dans la dernière version de la TOB.
Les écrits apocalyptiques se proposaient de dévoiler, de révéler – c’est le sens du mot « apocalypse » –, des événements à venir en relation avec le jugement divin. Ces textes donnaient à voir les événements derniers, le passage du monde ancien vers le monde nouveau. Pour ce faire, ils utilisaient des images terrifiantes avec l’intention de provoquer la peur.
Et c’est bien ce que fait notre texte : il parle de signes dans le soleil, la lune et les étoiles, du fracas de la mer et des flots, de puissances ébranlées, de populations affolées, désemparées, et mortes de peur.
Mais en y regardant de plus près, nous voyons que dans ce texte, il manque un élément toujours présent dans la littérature apocalyptique : comme dans le texte que nous avons lu il y a deux semaines, il ne recèle aucune information qui pourrait nous conduire à établir un calendrier précis des événements à venir.
Les premières communautés chrétiennes étaient confrontées à cette question de savoir si elles devaient attendre le retour du Christ imminent, ou bien si elles devaient s’adapter au temps et s’accoutumer aux épreuves et aux difficultés sur la longue durée ?
Selon la manière dont on répond à cette question, on peut se heurter à deux écueils : soit on se dit que les derniers événements sont imminents et on se contente d’attendre passivement, soit on se dit qu’aucune aide extérieure n’est à attendre et on se décourage devant les menaces et les difficultés.
Mais l’avenir ne se calcule pas, ne se prédit pas. Ceux qui disent le contraire, les fondamentalistes de toutes obédiences et les sectes en tous genres, qui sont dans une quête du même, se trompent et trompent ceux qui les croient. Non, le Royaume de Dieu, aujourd’hui, n’est visible que pour les croyants dont la foi ouvre les yeux.
C’est pourquoi les textes apocalyptiques du Nouveau Testament ont une autre visée que les autres écrits de la littérature apocalyptique. Pour preuve cet autre texte de Luc, dans le livre des Actes – à l’origine, l’Evangile de Luc et le livre des Actes forment un même livre.
Dans ce texte, on voit l’apôtre Pierre expliquer après coup l’événement de la Pentecôte. Voici ce qu’il dit : Ce qui arrive a été annoncé par le prophète Joël […] je ferai des prodiges en haut dans le ciel, et des signes en bas sur la terre : du sang, du feu, une vapeur de fumée. Le soleil sera changé en ténèbres, et la lune sera changée en sang. Or lors de la Pentecôte, nous le savons, personne n’a vu le soleil changé en ténèbres ni la lune changée en sang.
En fait, notre passage demande, comme d’ailleurs tous les textes bibliques, d’être lu non pas de manière littérale, mais en prenant en compte le contexte qui a présidé à sa genèse : nous avons affaire ici à un écrit qui emprunte toute son imagerie au genre apocalyptique, et non comme un écrit destiné à être lu de manière littérale.
Jésus se refuse catégoriquement à nous donner un quelconque indice qui nous permettrait de mettre une date sur les derniers événements. Il s’y refuse non parce qu’il ne le veut pas, mais parce qu’il a rejoint notre humanité en épousant toutes les limitations qui lui sont liées. En tant qu’homme, il n’est pas en mesure de prédire l’avenir.
Luc a utilisé les catégories courantes à l’époque dans le genre apocalyptique pour évoquer la réalité qui venait d’être vécue par les premiers croyants, et il fait la même chose ici dans ce texte de l’Evangile. Nous avons affaire ici à un procédé littéraire, à une figure de style, à un langage imagé et codé, et ce serait une erreur de le prendre à la lettre.
Ce qui reste de ce texte, c’est seulement un encouragement à la vigilance et à la persévérance. Veillez et priez !
Non, notre monde visible n’est pas la réalité dernière, et nous sommes appelés à voir la puissance éternelle de l’amour divin qui est discret mais qui agit pourtant dans les gestes de fraternité, de pardon, de générosité, quand ils sont possibles. Le royaume de Dieu est à la fois déjà là et pas encore là. Il vient, il avance vers une révélation qui sera un jour plus manifeste. Notre « génération » peut déjà discerner ces signes. Mais il nous est promis la manifestation éclatante de la vérité évangélique.
Nous le voyons, le message de notre texte d’aujourd’hui n’est pas destiné à être pour nous une source d’angoisse ou de peur – il y en a déjà assez autour de nous –, mais, comme le disait un commentaire de Martin Luther, un message aimable et joyeux. C’est cela qu’il nous faut garder à l’esprit en lisant ce genre de textes, pour que nous puissions sereinement veiller et prier, en nous attachant à maintenir un lien vivant avec le Christ.
Amen.
Bernard Mourou