Marc 12, 28-34 – Simplifier

Nous retrouvons Jésus en discussion avec des pharisiens. Juste avant, il avait dû répondre à plusieurs de leurs questions, des questions qui étaient autant de pièges de leur part : il y a d’abord eu cette question sur sa légitimité (« Par quelle autorité fais-tu cela ? »), puis cette question sur l’impôt payé à Rome (« Est-il permis oui ou non payer l’impôt à César ? »), et enfin cette question sur la résurrection avec l’histoire d’une femme ayant été sept fois veuve. C’est sur cette dernière question que rebondit le scribe dont parle notre passage.

Dans cet Evangile de Marc, contrairement aux passages parallèles chez Matthieu et chez Luc, ce scribe introduit une rupture dans le récit : lui, il ne cherche pas à tendre pas tendre un piège à Jésus ; au contraire, il fait preuve d’une recherche authentique, il est ouvert et sans arrière-pensée, et il n’hésite pas à faire part de son admiration sincère devant la réponse de Jésus à la question sur la résurrection. Tout laisse penser que c’est cet Evangile de Marc qui retranscrit le plus fidèlement les faits.

Et l’admiration de ce scribe l’amène à poser à Jésus cette question : « Quel est le premier de tous les commandements ? » Dans la bouche d’un spécialiste de la Loi, cette question ne manque pas de nous surprendre.

Mais en fait, les juifs étaient coutumiers de telles controverses et c’est bien cette habitude de discuter sans fin sur les textes de la Torah qui l’amène à poser cette question, qui nous le rend plutôt sympathique pour nous, protestants, qui faisons la même chose avec les textes bibliques.

A l’époque, les scribes sont censés aider leurs coreligionnaires à lire et à pratiquer la Loi, dont la complexité est déroutante avec tous ses préceptes et ses commandements – 613 au total. Dans ces conditions, discerner un commandement plus important que les autres permettra aux fidèles de hiérarchiser les préceptes et de s’y retrouver un peu. C’est certainement ce souci pédagogique qui amène ce scribe à poser cette question à Jésus.

On peut imaginer qu’il attend de lui qu’il aille au plus simple et qu’il lui cite un passage du Décalogue. Mais Jésus est toujours surprenant : il ne cite pas le Décalogue, mais un passage du Deutéronome. C’est sans aucun doute le précepte le plus familier des juifs, parce qu’ils le récitent deux fois par jour dans leurs prières, chaque matin et chaque soir.

Ce n’est pas d’abord une invitation à agir, mais l’ordre divin à écouter : Ecoute Israël : le Seigneur notre Dieu est l’unique Seigneur.  Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme, de tout ton esprit et de toute ta force. Puis Jésus cite un second passage de la Torah, cette fois-ci pris dans le livre du lévitique : Tu aimeras ton prochain comme toi-même

Devant la complexité des commandements, Jésus procède à une simplification absolument géniale : il ne cite pas un passage du Décalogue, mais un texte du Deutéronome qui résume le Décalogue.

En effet, le texte du décalogue se divise en deux parties : les cinq premières paroles concerne le rapport à Dieu, tandis que les cinq suivantes le rapport à autrui. Et ici met ces deux parties du Décalogue sur le même plan.

La question de ce scribe a donné l’occasion à Jésus de lui rappeler que dans le Décalogue, les cinq premières paroles concernent Dieu et les cinq suivantes l’humain, à parts égales. Au même titre que Dieu, toute personne, en tant qu’elle est différente de nous, peut faire œuvre de libération en nous nous permettant de sortir de nous-mêmes et de nos enfermements.

Jésus cite non pas un, mais deux commandements, aimer Dieu, et aimer son prochain, deux commandements complémentaires et inséparables, qui n’en font qu’un, dans la mesure où on ne peut pas véritablement aimer Dieu si l’on n’aime pas son prochain.

Aimer Dieu ou aimer l’être humain, non seulement ce n’est pas contradictoire, mais l’un ne va pas sans l’autre, les deux sont indissociables.

Oui, la vie chrétienne, c’est aimer Dieu et les autres. Les autres, au même titre que Dieu, nous empêchent de tourner autour de nous-mêmes. Les autres que nous sommes appelés à rencontrer quotidiennement ne se confondent pas avec nous-mêmes et nous obligent à prendre en compte leur différence, leur altérité. Le théologien allemand Dietrich Bonhoeffer disait que croire, c’était fonder sa vie sur une base en dehors de soi-même.

La réponse de Jésus est une invitation à sortir de tout enferment, à se libérer de soi-même et à se laisser transformer par la différence. Elle rappelle au scribe que Dieu fait une œuvre de libération, cette libération si chère au cœur des juifs et qui est évoquée chaque année à la fête de la Pâque : la libération du peuple hébreu de son esclavage en Egypte. On comprendra aisément que la réponse de Jésus a rencontré l’approbation totale de ce scribe imprégné par tout l’héritage du judaïsme.

Cette conversation n’a pas eu lieu n’importe : elle s’est déroulée devant le temple de Jérusalem. Et c’est là que ce scribe fait une synthèse de la conversation qu’il a eue avec Jésus : Dieu est l’Unique et il n’y en a pas d’autre que lui. Et il y ajoute : L’aimer de tout son cœur, de toute son intelligence, de toute sa force, et aimer son prochain comme soi-même, vaut mieux que toute offrande d’holocaustes et de sacrifices. Devant le temple de Jérusalem, Jésus lui a permis de comprendre que l’amour de Dieu et du prochain vaut mieux que tous les sacrifices.

Jésus a joint la parole aux actes : il aimé son Père et il a aimé les humains avec une force égale. C’est à cette œuvre de libération qu’il nous invite, à sa suite, tant il est vrai que prendre en compte l’autre dans sa différence nous libérera de notre enfermement sur nous-mêmes, comme les hébreux ont été libérés de leur esclavage lorsque Moïse les a conduits hors d’Egypte.

Oui, dans un temps où la peur de l’autre provoque des crispations et des tensions, il est important de redire que la vraie liberté ne consiste pas à chercher une sécurité illusoire en nous enfermant en nous-mêmes et en fréquentant seulement les gens qui nous ressemblent, mais que la vraie liberté consiste au contraire, dans la confiance, à aimer Dieu et à aimer son prochain.

Amen.

Bernard Mourou

 

 

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