Nombres 11, 25-29 – L’ébauche d’une première Pentecôte

L’Ancien Testament contient parfois des textes étonnants qui annoncent avec fulgurance des réalités à venir, des réalités qui ne seront effectives que sous la nouvelle alliance, et cela ne concerne pas seulement les livres prophétiques, mais aussi des textes du Pentateuque.

C’est le cas du passage qui nous est proposé pour les lectures de ce dimanche. C’est un texte subversif, révolutionnaire. Il s’agit d’un récit qui se situe pendant la traversée du désert, après la sortie d’Egypte. Les Israélites viennent d’exprimer leur défiance à l’égard de Moïse. C’est la première fois, mais ce ne sera pas la dernière.

La récrimination des Israélites concerne la manne, cette nourriture, toujours la même, qu’ils trouvent chaque matin dans leur traversée du désert. Cette manne, elle leur paraît bien insipide en comparaison des poissons, des concombres, des pastèques, des poireaux, des oignons, de l’ail, qui constituaient leur alimentation principale en Egypte, lorsqu’ils étaient esclaves. Ils s’en souviennent avec nostalgie, car la mémoire embellit toujours le passé.

Et maintenant, ils en sont réduits à manger la manne, toujours la même chose jour après jour, et ils en sont fatigués. La dureté de la vie dans le désert les a amenés à regarder comme négligeable leur liberté nouvellement acquise. Cela ne manque pas de contrarier fortement Moïse.

C’est dans ce contexte si triste et si décevant que notre récit nous raconte un épisode qui revêt un caractère prophétique : voici que, sous la tente où Dieu a coutume de se manifester, l’Esprit de Dieu ne se contente plus de reposer seulement sur Moïse, il vient maintenant se poser sur soixante-dix anciens.

Jusque-là, Moïse était considéré comme LE prophète, le seul habilité à conduire le peuple à travers le désert. Et voilà que les choses changent : l’Esprit qui était l’apanage de Moïse est maintenant aussi donné à d’autres : à soixante-dix responsables ; soixante-dix : nous noterons au passage le symbolisme de ce nombre.

Et cela ne s’arrête pas là : l’Esprit se met aussi à animer deux autres Israélites, Eldad et Médad, qui n’étaient pas dans la tente avec ces soixante-dix anciens. Ils ne se trouvaient pas dans le même lieu, et pourtant l’Esprit vient se poser aussi sur eux. L’Esprit se révèle ainsi au-dessus des contingences humaines.

Au total, en plus de Moïse, ils sont donc maintenant soixante-douze à avoir reçu l’Esprit de Dieu. Soixante-douze, c’est mieux qu’un seul, même quand il s’agit de Moïse. C’est mieux parce que l’action de l’Esprit n’est pas magique et n’est pas une garantie contre les errements inhérents à tout être humain : un ensemble de sages peut recadrer, le cas échéant, un chef unique qui court toujours le risque d’être prisonnier de sa propre subjectivité, même quand il s’appelle Moïse.

Moïse ne s’y trompe pas : Pour Moïse, cela ne pose aucun problème que d’autres reçoivent le même Esprit que lui. Il n’est pas jaloux, au contraire, il fait preuve d’humilité, parce qu’il cherche vraiment l’intérêt du peuple. C’est même ce à quoi il aspire au plus profond de lui, et c’est ce qui le fait soupirer : Ah ! Si le Seigneur pouvait faire de tout son peuple un peuple de prophètes ! Si le Seigneur pouvait mettre son esprit sur eux ! »

Pour un court moment, l’Esprit qui anime Moïse et va maintenant animer ces soixante-douze anciens.

L’Esprit n’est pas un esprit d’anarchie, comme le soulignera plus tard l’apôtre Paul dans sa première épître aux corinthiens : Dieu n’est pas un Dieu de désordre, mais de paix. Mais il n’est pas non plus un esprit de soumission à l’autorité établie en la personne de Moïse. En fait, cet Esprit ne vient ni de Moïse, ni des soixante-douze anciens, mais de Dieu lui-même, et en ce sens, il transcende à la fois le peuple et l’autorité religieuse en place, il est en accord, en harmonie, avec Dieu lui-même.

Bien sûr, cette réalité ne va pas durer, mais même si ce phénomène est passager, limité dans le temps, il a une portée prophétique et il se révèle une première ébauche de la Pentecôte chrétienne, lorsque le Saint-Esprit se posera sur tous les disciples réunis dans la chambre haute.

En ce sens, il est un avant-goût de ce que sera l’Eglise, dont la totalité des membres est animée par l’Esprit saint. Cet épisode de l’Ancien Alliance n’est qu’une étape annonciatrice de ce qu’offrira la Nouvelle Alliance. Aujourd’hui, l’Esprit n’est pas répandu sur soixante-douze dignitaires, mais sur la totalité des croyants.

La totalité du peuple animé par le Saint-Esprit, c’est encore mieux que seulement soixante-douze anciens. Ce récit est une annonce de ce que nous appelons sacerdoce universel des croyants et qui a été remis en évidence par la Réforme protestante. C’est cela qui est aujourd’hui notre réalité aujourd’hui : le Saint-Esprit est répandu sur tous les croyants.

Une fois, à cette question les disciples avaient été perplexes par rapport à un homme qui chassait les démons au nom de Jésus – c’est le texte de l’Evangile que nous avons lu aujourd’hui – Jésus leur avait répondu: Ne l’en empêchez pas, car celui qui fait un miracle en mon nom ne peut pas, aussitôt après, mal parler de moi ; celui qui n’est pas contre nous est pour nous. Nous voyons que la discipline dans l’Eglise ne s’exerce pas de la même manière que dans la société.

Et cette spécificité conduit aussi l’Eglise à adopter un fonctionnement différent de toutes les institutions exisrtantes. Dans l’Eglise ce n’est pas un seul individu qui fait toutes les tâches, ce n’est pas non plus un petit cercle qui se répartit les tâches, mais c’est l’ensemble des membres qui, par le Saint-Esprit, rend vivante la communauté des fidèles.

C’est pourquoi il est important que dans l’Eglise les tâches puissent être réparties selon les aptitudes de chacun. Pour parler de cela, l’apôtre Paul, dans sa première épître aux Corinthiens, utilise l’image du corps humain : le corps humain forme un ensemble cohérent, tout en étant composé de plusieurs membres. Dans l’Eglise, les fonctions sont différentes, mais elles ont toutes une même origine, car, nous l’avons vu dimanche dernier, c’est Dieu qui nous donne les talents qui sont à mettre au service de nos frères et de nos sœurs.

C’est ainsi seulement que l’harmonie de tout le groupe est rendue possible. Que notre paroisse tende donc toujours plus, selon l’image de l’apôtre Paul, vers cette communauté harmonieuse qui n’est pas animée par un seul individu, aussi charismatique qu’il puisse être, ni par un cercle de fidèles, mais par l’Esprit de Dieu lui-même.

Amen.

Bernard Mourou

 

 

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