Matthieu 11, 25-30 – Les intelligents et les tout-petits

 

Matthieu 11, 25-30

Pasteur Bernard Mourou

Le texte de l’Evangile commence par une prière de Jésus se poursuit par une exhortation. Ces propos sont prononcés à un moment que l’auteur ne situe pas avec précision. Nous avons juste cette indication vague : en ce temps-là, un peu comme si l’évangéliste avait absolument voulu garder ce message sans savoir très bien où le placer.

Ce passage ne vient pas de nulle part, mais ils s’inspire d’un livre biblique peu connu des protestants : le livre du Siracide. Nous le lisons très rarement, voire pas du tout, car il compte parmi les livres désignés par le terme d’apocryphes, et que les catholiques appellent deutérocanoniques.

Il s’agit de livres tardifs qui appartiennent à la tradition juive mais qui n’ont pas été retenus par le judaïsme. En effet, l’assemblée de Jamnia, à la fin du Ier siècle a statué sur le canon juif et a clos l’ensemble du corpus. Au XVIe siècle, c’est le canon juif que les Réformateurs ont retenu et non l’ensemble plus large de tous les textes contenus dans la Septante, la Bible grecque.

Le livre du Siracide a été rédigé vers 180 avant notre ère. Pour percevoir l’influence de ce texte sur notre passage, il suffit de mettre en parallèle ces deux passages.

Voici comment commence notre texte d’évangile :

En ce temps-là, Jésus prit la parole et dit : « Je te loue, Père, Seigneur du ciel et de la terre, d’avoir caché cela aux sages et aux intelligents et de l’avoir révélé aux tout-petits. »

Et voici comment commence le chapitre 51 du Siracide :

Je veux te rendre grâce, Seigneur roi, et te louer, Dieu mon sauveur. Je rends grâce à ton nom, car tu as été pour moi un protecteur et un secours et tu as délivré mon corps de la perdition, du piège de la langue calomnieuse, des lèvres qui fabriquent le mensonge.

Juste avant notre passage, Jésus avait fustigé les habitants de Chorazin et de Bethsaïda parce qu’ils ne s’étaient pas repentis devant les miracles qu’il avait fait sous leurs yeux. Il les avait menacés d’un jugement plus sévère que celui de Sodome, cette ville emblématique supprimée de la carte par le feu du ciel.

La mise en parallèle de ces deux textes laisse penser que les habitants de Chorazin et de Bethsaïda, dans l’esprit de l’auteur, sont assimilés à ces gens menteurs et calomniateurs.

Un autre parallèle entre ces deux textes se laisse deviner derrière l’image du joug.

Voici le texte de notre évangile :

Prenez sur vous mon joug et mettez-vous à mon école, car je suis doux et humble de cœur, et vous trouverez le repos de vos âmes. Oui, mon joug est facile à porter et mon fardeau léger. 

Et voici celui du Siracide :

Soumettez votre nuque à son joug et que votre âme reçoive l’instruction !

L’exhortation de Jésus apparaît comme un développement de cette image tirée du monde agricole.

Dans la prière qui commence notre passage, ce sont ceux que Jésus appelle les tout-petits qui font naître cette prière de louange.

Qui sont-ils ?

Si nous suivons cette piste d’un lien entre le chapitre 51 du Siracide et notre passage, ce sont tous ceux qui, avec franchise et sans aucune malice, s’écartent du mensonge et de la calomnie. Ils ne cherchent pas, par des calculs pervers, à nuire aux autres.

Donc, lorsque Jésus les oppose aux intelligents, il ne faut pas y voir une critique à l’encontre de la réflexion intellectuelle.

Une telle lecture, qui inviterait à la facilité et à la paresse, serait un contresens. Malheureusement, tout au long de l’histoire chrétienne, cette manière de voir a eu du succès. Dans son Bloc-notes de 1954, François Mauriac écrit : Que Dieu préfère les imbéciles, c’est un bruit que depuis dix-neuf siècles les imbéciles font courir.

L’histoire du christianisme aurait été sans doute différente et peut-être moins dramatique si la réflexion intellectuelle l’avait mieux éclairé dans ses périodes d’obscurité. Mais heureusement, à chaque moment de crise l’Eglise a compté dans ses rangs de grands intellectuels. Pensons à l’apôtre Paul, à saint Augustin, à Luther, à Calvin et à tant d’autres brillants penseurs qui ont marqué l’histoire de la théologie et de la philosophie.

Nous le voyons, Jésus n’encourage pas la paresse intellectuelle. Certes il remet les facultés de la raison à leur juste place. La révélation évangélique dépasse le seul intellect. L’intuition ne doit pas être négligée, car l’Evangile repose sur une révélation.

C’est pourquoi un christianisme équilibré et éclairé repose sur la foi et sur la raison.

Amen

 

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