Pasteur Bernard Mourou Dans ce début de l’évangile selon Matthieu, Dieu parle à Joseph par des songes. Il le fait à quatre reprises :
La fuite en Egypte a inspiré de nombreux peintres, dont Rembrandt. Dans son tableau, Joseph, Marie et l’Enfant surgissent de l’obscurité. Les ombres sont menaçantes. Non sans raison, Marie affiche une certaine anxiété. Mais Joseph, encouragé par le message qui lui a été adressé dans le songe, marche d’un pas sûr, et la tête de l’Enfant Jésus rayonne dans la nuit. Le peintre traduit ce contraste entre la fiabilité du plan divin, que Joseph a perçu dans son sommeil, et la précarité objective de la situation. Nous pouvons être surpris par ce récit de la fuite en Egypte, qui est évoqué seulement chez Matthieu. L’Arabie aurait été un lieu de refuge plus proche. Mais par ce voyage en Egypte, l’évangéliste élabore son discours théologique. Dans la Bible, ce pays est perçu de manière ambivalente : tour à tour lieu de refuge et siège d’une menace. Car c’est à la fois le pays qui, à maintes reprises, a permis aux Hébreux de survivre dans des périodes de famine, mais c’est aussi le lieu de la servitude, comme le rappelle chaque année la fête de la Pâque. De fait, l’Egypte ne laisse pas indifférent. Cette civilisation brillante qui utilisait déjà l’écriture exerce une fascination encore aujourd’hui. La culture biblique lui doit beaucoup. Moïse, le personnage fondateur du judaïsme, est un pur produit de cette civilisation. Il a reçu l’éducation la plus raffinée du moment : celle qui était dispensée à la cour du Pharaon. Les Hébreux ont puisé dans ses richesses culturelles de la même manière que, lors de l’exode, ils ont emporté avec eux des objets d’or et d’argent. Mais ils s’opposent aussi à elle pour s’attacher au Dieu d’Abraham et ils utiliseront pour leur culte ce qu’ils auront reçu de l’Egypte, à commencer par ces trésors de métaux précieux. Dans le récit de la fuite en Egypte, cette ambivalence n’a pas disparu : l’Egypte permet de mettre l’Enfant à l’abri d’Hérode, mais Joseph et Marie la quitteront dès qu’ils apprendront la mort du despote. Et puis ce récit permet aussi à l’évangéliste de souligner que Marie, Joseph et l’Enfant ne sont pas à l’abri de la précarité. Comme les hébreux dans leur histoire, comme les réfugiés de tous les temps, ils sont pour un moment sans feu ni lieu. Ce n’est d’ailleurs pas la seule fois : dans l’évangile selon Luc, Marie et Joseph ont vécu la même situation avant la naissance de l’Enfant, lorsqu’un recensement les a jetés sur les routes. L’Enfant est venu au monde dans un contexte précaire, mais Dieu le protège. Et iI est intéressant de voir comment : pas par une intervention directe contre le tyran qui le menace, mais par le discernement donné à Joseph. C’est ce que les théologiens appellent la Providence, une manière de rappeler que dans nos vies l’action de Dieu ne se fait pas forcément extraordinaire et qu’elle prend souvent des aspects tout à fait banals. Pour l’évangéliste, Jésus est un nouveau Moïse. C’est pourquoi il raconte cette histoire. Elle dit que, de la même manière que Moïse a fait sortir le peuple d’Egypte, du pays de l’esclavage, Jésus conduira son peuple et lui permettra de vivre dans la liberté. Ce passage pris dans le livre d’Osée : D’Égypte, j’ai appelé mon fils, joue le même rôle. Matthieu cite souvent la Bible hébraïque. C’est une façon de donner du poids à son propos, une manière de rhétorique. Pour rester crédible, il convient de préciser que les citations sont prises hors de leur contexte et que l’archéologie n’a confirmé aucun élément de tous ces récits liés à la Nativité. Mais cela ne discrédite pas pour autant leur signification profonde, car nous avons affaire ici à un discours théologique et à l’époque il ne s’exprimait pas selon les mêmes modalités qu’aujourd’hui. Quelle que soit la véracité des événements qui sont racontés dans la fuite en Egypte, ce récit pose les prémisses de la Nouvelle Alliance dans un univers précaire. Lui-même soumis à cette précarité, Joseph fait confiance à qu’il a entendu en songe. Il est attentif aux menaces et agit avec circonspection en évitant une confrontation avec Hérode ou Arkélaüs, mais pas au point de se laisser perturber par les circonstances. Il ne doute pas que le projet divin s’accomplira. Il peut être pour nous un modèle de sagesse, de confiance et de foi. Amen
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