Luc 20, 27-40 – Les morts ressuscitent-ils ?

 

Pasteur Bernard Mourou

Les morts ressuscitent-ils ?

C’est la question des sadducéens, et peut être aussi la nôtre.

On connaît moins bien les sadducéens que les pharisiens. Leur nom renvoie aux fils de Saddoq, une lignée de prêtres fidèles mentionnés dans le livre d’Ezéchiel. Les évangiles en parlent relativement peu, dans la mesure où, à l’époque de leur rédaction, ils ne font plus partie du paysage religieux parce que le Temple de Jérusalem, où ils officiaient, vient d’être détruit. Mais, il faut garder à l’esprit qu’à l’époque de Jésus ils constituent un courant du judaïsme à part entière, au même titre que les pharisiens.

Moins populaires que les pharisiens, ils se distinguent aussi de ces derniers entre autres choses par le fait qu’ils ne croient pas à la résurrection, pas plus qu’ils ne croient aux anges ou à la providence.

D’après l’historien juif Flavius Josèphe, contemporain des évangiles, leur doctrine fait mourir les âmes en même temps que les corps, et leur souci consiste à n’observer rien d’autre que les lois, […] ils n’ont pour ainsi dire aucune action ; car lorsqu’ils arrivent aux magistratures, contre leur gré et par nécessité, ils se conforment aux propositions des Pharisiens parce qu’autrement le peuple ne les supporterait pas.

Cet extrait laisse deviner l’hostilité qui règne entre les sadducéens et les pharisiens. Voilà le contexte de notre récit.

Comme juste avant les pharisiens ont posé à Jésus sur la question de l’impôt exigé par Rome, les sadducéens le questionnent à leur tour. Ils savent en effet que Jésus partage une croyance avec les pharisiens : la foi en la résurrection.

Alors ils lui soumettent un cas d’école qui se réfère à une injonction : la loi du lévirat. A l’époque de Jésus, elle est tombée en désuétude. Elle demande à un homme d’épouser sa belle-sœur au cas où elle deviendrait veuve sans avoir eu d’enfants, afin de la protéger et d’assurer une postérité au défunt.

On a l’habitude de considérer l’argument des Sadducéens comme fallacieux, mais leur question est tout à fait pertinente pour quiconque croit à une résurrection individuelle.

Pour leur répondre, il aurait été plus facile pour Jésus de citer des écrits du judaïsme tardif, qui développent ce thème de la résurrection, comme par exemple le livre de Daniel ou le Second livre des Martyrs d’Israël.

La foi en la résurrection apparaît en effet tardivement dans le judaïsme, vers 170-160 avant notre ère, dans une période compliquée de son histoire.

Dans cette période difficile, on constate que ceux qui se conduisent bien n’obtiennent pas dans cette vie la faveur de Dieu pour autant. Alors pour maintenir la notion d’un Dieu juste ils se mettent à élaborer l’idée d’une rétribution après la mort.

Et nous voyons que deux siècles plus tard, la question de la résurrection fait encore débat.

Mais les Sadducéens ne reconnaissent pas cette littérature du judaïsme tardif. En effet, contrairement aux pharisiens, ils ne retiennent que les cinq premiers livres de la Bible, ce que les juifs appellent la Torah et nous le Pentateuque. Dans ces écrits le thème de la résurrection est absent.

Dans ces conditions, Jésus s’adapte en citant le livre de l’Exode et l’épisode du buisson ardent, où Dieu se présente à Moïse comme le Dieu d’Abraham, Dieu d’Isaac et Dieu de Jacob.

En cela, Jésus n’invente rien, il reprend simplement un écrit du judaïsme tardif, un passage du 4e livre des Martyrs d’Israël, que les chrétiens orthodoxes lisent encore aujourd’hui, et qui dit : Ceux qui meurent pour Dieu vivent avec lui, comme Abraham, Isaac et Jacob et tous les patriarches.

L’idée qu’il développe, c’est que chacun des patriarches a entretenu avec Dieu un rapport personnel et original, selon la personnalité propre de chacun.

C’est sur cette relation unique que Jésus fonde la foi en la résurrection. Au moment de ce dialogue avec les sadducéens, les patriarches sont morts depuis longtemps, mais ils sont toujours vivants en Dieu.

Ce qu’il développe ici, c’est l’idée d’une fidélité. L’argument consiste à dire que la résurrection n’est pas une idée nouvelle, qu’elle est déjà présente dans la Torah et que par conséquent elle n’est pas contestable. Il montre que le lien entre Dieu et les patriarches Abraham, Isaac et Jacob ne saurait cesser, puisque Dieu parle d’eux au présent alors qu’ils sont morts depuis plusieurs siècles. La fidélité est plus forte que la mort et c’est elle qui aura le dernier mot.

La résurrection implique la disparition de la procréation. Jésus compare les ressuscités aux anges. Notons au passage que c’est une pique lancée contre les sadducéens puisqu’ils ne croient pas plus aux anges qu’à la résurrection.

Cette controverse de Jésus avec les sadducéens nous rappelle que la foi en la résurrection ne prend pas son fondement dans une doctrine spéculative sur l’immortalité de l’âme, mais sur l’amour éternel de Dieu en Jésus-Christ.

Les pharisiens sont satisfaits de cette réponse. Ils y voient une prise de position en leur faveur. C’est pourquoi ils lui disent : Maître, tu as bien parlé. Ici, l’adverbe bien peut se traduire aussi par beau. Dans la culture grecque, la vérité était d’abord affaire de beauté. Par la suite, on ne lui posera plus de question.

Amen

 

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