Luc 9, 28-36 – Une expérience unique

 

Pasteur Bernard Mourou

Une montagne, une nuée, une voix, une grande crainte : tous ces éléments déjà sont présents… dans un récit du Premier Testament, dans le livre de l’Exode.

Ce premier récit décrit aussi une transfiguration, c’est-à-dire un phénomène physique qui marque la divinisation d’un être humain. Et dans ce récit de l’Exode, la montagne, c’est le Sinaï, et celui qui la gravit, c’est Moïse.

Voici les détails de ce texte : Moïse gravit la montagne avec Aaron, Nadab et Abihou, et soixante-dix des anciens d’Israël. Ils virent le Dieu d’Israël […] La nuée recouvrit la montagne, la gloire du Seigneur demeura sur la montagne du Sinaï, que la nuée recouvrit pendant six jours. Le septième jour, le Seigneur appela Moïse du milieu de la nuée. La gloire du Seigneur apparaissait aux fils d’Israël comme un feu dévorant, au sommet de la montagne.

Ce thème de la transfiguration figure aussi dans la littérature intertestamentaire, comme dans ce passage du quatrième livre d’Esdras, qui compare un certain visage à la lumière du soleil et à celle des étoiles.

Et donc il est tout naturel que nous trouvions le récit d’une transfiguration dans les évangiles, car ces textes s’inscrivent dans le prolongement de cette littérature.

Notre récit se déroule vraisemblablement le dernier jour d’une fête juive majeure : la fête des Tentes. Cette fête juive rappelle la précarité de l’existence humaine. Elle dure une semaine, et le dernier jour elle se termine par la célébration de la Loi qui a été donnée par Moïse sur la montagne du Sinaï.

Dans les évangiles, les récits de la Transfiguration font le lien entre l’Ancienne et la Nouvelle Alliance. C’est pourquoi ils mentionnent ces deux figures incontournables du premier Testament que sont Moïse et Elie.

Il est donné seulement à Pierre, Jacques et Jean, de vivre la transfiguration de Jésus. Ils sont transportés hors de l’espace et hors du temps : dans un lieu à part, sur une montagne qui n’est pas nommée, et dans un temps aussi à part, où tout se modifie sans qu’aucun événement ne se produise.

La Transfiguration de Jésus apparaît comme une parenthèse heureuse au milieu de la rude vie quotidienne, parsemée d’épreuves et d’échecs. En effet, juste avant, Pierre avait refusé l’idée que le Messie pût souffrir, et immédiatement après, les disciples ne parviendront pas à guérir un enfant démoniaque.

Cette parenthèse heureuse n’est pas tant une expérience visuelle, comme on pourrait le croire au premier abord. En effet, la parole prend très vite le pas sur la vue, pour faire vivre aux disciples présents un moment privilégié de communion avec le Christ

Cette parole intervient de deux manières.

Il y a d’abord les paroles que prononce Pierre. Elles ne présentent pas un grand intérêt. Elles montrent juste un homme qui manque de sommeil.

A cause de sa fatigue, il dit n’importe quoi parce qu’il est aux prises avec des émotions contradictoires : une grande crainte et l’envie de prolonger indéfiniment cette parenthèse heureuse en tentant de figer, de capturer cet instant, dans le contexte de la fête, en dressant ces tentes qui rappellent la condition humaine. Mais il fait erreur : Elie, Moïse et Jésus ont ici dépassé cette condition précaire.

Plus riches de sens sont les paroles qui viennent de la nuée lumineuse.

Elles nous rappellent le baptême de Jésus : ce sont les mêmes mots qui sont employés, à cette réserve près qu’il s’y rajoute cette injonction : Ecoutez-le.

Elle fait écho à la promesse que Dieu a faite à Moïse, qu’il ferait se lever un prophète comme lui : Je mettrai dans sa bouche mes paroles, et il leur dira tout ce que je lui prescrirai. Si quelqu’un n’écoute pas les paroles que ce prophète prononcera en mon nom, moi-même je lui en demanderai compte. Ce prophète qui s’inscrit dans la lignée de Moïse est ici clairement assimilé à Jésus.

La transfiguration de Jésus reprend, comme nous l’avons vu, une tradition déjà bien ancrée dans le Premier Testament. Toutefois dans les évangiles quelque chose change, comme le fait remarquer Jean Guitton : C’est au milieu des éclairs et de la nuée que Moïse avait reçu la Loi. C’est dans une transfiguration lumineuse et fulgurante, mais douce cette fois, et sans éclairs, que Jésus donne la Foi.

En fait, la transfiguration de Jésus à laquelle sont conviés nos trois apôtres ne change rien, et en même temps elle change tout : elle leur fait comprendre que désormais le Christ glorifié les accompagne dans les difficultés et les échecs de leur vie quotidienne. L’existence prosaïque que mène l’être humain est dès lors sauvée et car on peut la voir dans la lumière divine.

Cette lumière divine nous accompagne aujourd’hui encore dans la banalité de nos existences.

C’est pourquoi l’Eglise a fait de la Transfiguration une fête. Elle apparaît dès le Ve siècle en Orient, puis elle atteint l’Occident au IXe siècle, où elle se généralise par grâce à Pierre le Vénérable et à l’abbaye de Cluny au XIIe siècle. Elle est finalement officialisée en 1457.

Aujourd’hui, si nous lisons chaque année dans les évangiles le récit de la Transfiguration pendant le temps du Carême, c’est parce que ce récit anticipe la résurrection du christ.

Que sa méditation puisse nous accompagner pendant ce temps de Carême et contribuer à nous préparer à vivre la fête de Pâques.

Amen

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