2 Corinthiens 5, 17-21 – Déjà présent et encore à venir

  Pasteur Bernard Mourou Ce quatrième dimanche de Carême nous invite à continuer notre marche vers Pâques. Les chrétiens ont toujours considéré Pâques comme la fête majeure. En effet, Pâques rappelle la mort et la résurrection du Christ. Cet événement de la croix est un moment déterminant de l’histoire humaine. Comme le dit l’apôtre Paul aux chrétiens de Corinthe : Le monde ancien s’en est allé, un monde nouveau est déjà né. D’après cette compréhension, l’événement de la crucifixion a fait entrer l’humanité dans une ère nouvelle. Le monde nouveau dont il est question ici a donc commencé il y a deux mille ans et il durera jusqu’à la fin des temps. Par conséquent, nous n’avons rien d’autre à espérer pour ce temps ici-bas. Cela étant, comme nous l’avons vu dimanche dernier avec cette histoire humaine pleine de bruit, de fureur, qu'un idiot raconte et qui n'a pas de sens, pour reprendre les mots de Shakespeare, nous ne constatons pas, concrètement, que la croyance en la résurrection du Christ ait pu changer grand-chose au déroulement des événements, ni que l’être humain soit devenu cette création nouvelle dont parle l’apôtre Paul. Nous sommes bien obligés de reconnaître que le monde continue avec ses turpitudes, tout-à-fait comme auparavant. En fait, ce que l’apôtre Paul tente d’expliquer aux Corinthiens, c’est que cette nouvelle ère est à la fois déjà là, mais toutefois pas encore complètement, c’est le sens de cette affirmation : Le monde ancien s’en est allé, un monde nouveau est déjà né. Voilà deux mille ans que nous vivons dans ce temps-là. Nous sommes tour à tour satisfaits et frustrés. Notre réalité nous parle bien de Dieu, et pourtant cette ère nouvelle peine encore à être complètement effective. En quoi l’histoire du monde a-t-elle changé il y a deux mille ans ? Et quant à nous-mêmes, qu’est-ce qui nous différentie des incroyants, dont beaucoup ont aussi une morale qu’ils mettent en pratique. Est-ce que l’apôtre Paul, en bon rhétoricien, ne joue pas ici sur les mots ? Sur quoi se fonde-t-il pour affirmer que ce monde nouveau a déjà vu le jour ? En fait, il appuie son propos sur l’idée de réconciliation. Ce n’est pas par hasard si l’apôtre Paul aborde ce thème de la réconciliation justement avec les Corinthiens. En effet, un siècle plus tôt, lors de sa fondation en 44 avant Jésus-Christ, la ville de Corinthe avait offert l’amnistie à tous ceux qui étaient venus s’y établir, ce qui explique au passage les mœurs débridées de ses habitants lorsque Paul écrit ses épîtres. Pour lui, ce qui permet de comprendre en quoi tout est différent, c’est l’événement de la crucifixion : l’être humain a désormais l’assurance que le conflit entre lui et Dieu a pris fin et qu’il est maintenant complètement réconcilié avec Dieu. Quoi qu’il en soit, sur cette question de la réconciliation, une chose devrait nous surprendre. En effet, pour l’apôtre Paul, il n’est pas demandé à l’être humain de se réconcilier avec Dieu, comme nous pourrions nous y attendre, mais de se laisser réconcilier avec lui. En d’autres termes, dans cette affaire c’est Dieu qui en prend l’initiative. Ainsi, la part qui revient à l’être humain consiste seulement à l’accepter. C’est cette réconciliation qui crée une nouvelle humanité, et si l’enjeu est aussi grand, il convient de ne pas garder cette conviction pour soi, mais de la faire connaître. C’est pourquoi l’apôtre Paul présente le croyant comme un ambassadeur : Il a déposé en nous la parole de la réconciliation, nous sommes donc les ambassadeurs du Christ. L’ambassadeur a une mission à la fois symbolique et honorifique : il représente son pays à l’étranger et doit en donner la meilleure image. L’étranger, dans cette idée, c’est le monde qui n’a pas encore eu la connaissance de ce message révolutionnaire : Dieu a identifié pour nous Jésus au péché, afin qu’en lui nous devenions justes de la justice même de Dieu. Maintenant, je vous invite à reprendre nos questions de tout à l’heure : Qu’est-ce qui a changé il y a deux mille dans l’histoire du monde ? Et quant à nous-mêmes, sommes-nous différents des incroyants ? En fait, les le christianisme n’a pas changé les structures de la société. Les ressorts de la politique et du pouvoir sont restés les mêmes. Et lorsque les institutions politiques ont soutenu l’Eglise, à partir du IVe siècle, non seulement elles n’ont pas été transformées, mais contre toute attente elles ont entraîné l’Eglise dans la compromission. S’il en a été ainsi, c’est parce que les changements dans la société ne peuvent intervenir qu’au niveau des individus. Oui, seuls les individus peuvent transformer la société. Mais pour réussir, ils doivent être suffisamment nombreux et influents. C’est pourquoi nous avons cette mission d’être des ambassadeurs, c’est-à-dire de faire connaître autour de nous cette nouvelle réalité accessible par la foi, à savoir que tout être humain peut être désormais réconcilié avec Dieu. En ce temps de Carême, nous sommes donc tous appelés à cette tâche honorifique, nous sommes tous appelés à ce que l’apôtre Paul appelle le ministère de la réconciliation. Amen      

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